Revenir au site

Mémoires de chars:

Duquet chez les soviets et

visite à l’usine Togliatti

Par: Denis Duquet

28 mai 2020
Ajouter un paragraphe ici.

Denis Duquet couvre le domaine de l’automobile depuis plusieurs décennies et il nous fait part de quelques souvenirs. Cette semaine, il nous raconte sa visite à l’usine Lada en URSS en 1986.

À la fin des années 70 et au début des années 80, les voitures Lada étaient distribuées au Canada. Après un engouement initial très important, les ventes ont progressivement décliné en raison de la fiabilité et qualité décevantes de ces automobiles. Pire encore, certaines compagnies d’assurances ne voulaient pas les assurer tandis que plusieurs banques refusaient d’avancer les fonds nécessaires pour les acquérir, malgré leur prix excessivement bas.

 

Après la reprise de la compagnie au Canada par un nouvel investisseur, on a jugé bon d’inviter certains journalistes à visiter l’usine d’assemblage de Togliatti, afin de démontrer la modernité des installations puisque la nouvelle Samara était produite dans une section de l’usine que l’on disait ultramoderne.

Notre voyage s’est déroulé quelques semaines après la catastrophe de Tchernobyl d’avril 86 et c’est avec une certaine appréhension de la part de quelques journalistes que notre avion de British Airways a survolé la zone de Kiev, la région où était situé le réacteur atomique de Tchernobyl. Une fois arrivé sans ambages à Moscou, notre groupe a été fortement surpris de découvrir qu’il n’y avait aucun affichage publicitaire, que les femmes ne portaient aucun maquillage, ce qui serait signe de décadence et d’embourgeoisement, tandis que le parc automobile était assez particulier avec les innombrables Trabant et Wartburg d’Allemagne de l’Est ainsi bien entendu que des Lada en grande quantité tandis que les dirigeants et officiels du régime se déplaçaient en Zil, la limousine officielle de l’Union soviétique.

Trabant

Limousine Zil

Wartburg

L’hôtel Kosmos

À notre arrivée à Moscou, nous avons habité à l’hôtel Kosmos, un établissement de 2000 chambres construit pour la tenue des Jeux olympiques de 1980. Malgré la construction assez récente, la piètre qualité des matériaux utilisés expliquait la détérioration rapide des boiseries, des ascenseurs et de l’ensemble de l’ouvrage.

La nourriture qui nous était servie à la salle à manger n’était pas tellement appétissante et, au petit déjeuner, le café était tellement imbuvable que la majorité des gens se dirigeaient vers le bar pour y commander un Pepsi-Cola. Cet hôtel était fréquenté par des représentants de tous les pays associés à l’Union soviétique et la clientèle y était des plus bigarrés. Il était également impressionnant de constater le manque d’empressement du personnel puisque, que notre travail soit bon ou mauvais, on était assuré de conserver son travail.

Les VIP arrivent

Le moment était venu de nous diriger vers l’usine de Togliatti, ce qui représentait un vol de plusieurs heures compte tenu de l’immensité du territoire soviétique. En arrivant à l’aéroport, on nous a dirigés vers notre avion et, rendu sur place, on a constaté que malgré la pluie passablement forte, tous les passagers attendaient à l’extérieur de l’avion. En fait, on attendait que les VIP, c’était nous les journalistes, prennent place à bord avant qu’ils puissent embarquer à leur tour.

Le vol fut sans histoire, mais la plupart des ceintures de sécurité étaient défectueuses tandis qu’il ne fallait pas trop s’appuyer sur le dossier de notre siège, au risque de se retrouver sur les genoux du passager arrière. De plus, toutes les hôtesses avaient « un air de beu» tandis que le service de nourriture était réduit à sa plus simple expression : un petit verre de jus d’origine inconnue.

La qualité prime ?

Une fois arrivée à Togliatti, on nous a dirigés vers notre hôtel dont le lobby était impressionnant au chapitre de la présentation et du luxe. Toutefois, nos chambres étaient d’une autre mouture : on se serait cru dans la chambre d’un monastère avec, en bonus, un frigo très bruyant dont les qualités de réfrigération étaient pratiquement nulles.

Le matin, notre groupe se dirige vers l’usine qui a été construite, clé en main, par la compagnie Fiat qui a érigé cette usine gigantesque dont la capacité de production était de 1 million de véhicules par année. Mais, ne riez pas, on nous a affirmé à l’usine qu’on se limitait à produire 700 000 unités par année pour conserver une meilleure qualité. Oh yeah !

C’est vrai, l’usine est gigantesque, la plupart des installations étaient d’un certain modernisme sauf la section réservée à la fabrication de la nouvelle Samara qui était dotée de machineries toutes récentes, dont d’imposantes presses hydrauliques Hitachi Sozen de la toute dernière génération. Ces immenses machines estampaient les sections de carrosserie avec un lourd « thump » chaque fois que la matrice heurtait le métal. Dans des usines similaires, on retrouve de multiples matrices disposées le long de ces machines afin de les remplacer relativement souvent pour assurer la qualité du produit. Devant leur absence, nous nous sommes informés et on nous a répondu que ce n’était pas nécessaire compte tenu de l’excellente qualité de l’acier soviétique. Précision : l’acier soviétique de qualité, c’était un pieux mensonge puisque la plupart des pièces qui sortaient de ces unités d’estampage étaient froissées et peu conformes à la qualité des produits similaires ailleurs dans le monde.

Un autre élément qui a frappé notre groupe, c’est l’absence de protection pour les employés. Par exemple, ceux affectés à la soudure de différentes composantes ne portaient ni gants ni lunettes de protection et quelques-uns étaient en sandales tout simplement. Chaque fois qu’on devait effectuer un point de soudure, on se fermait les yeux et détournait la tête. Ça donne une idée de la qualité de la production.

L’assemblage s’effectuait dans la plus totale indifférence et lorsque le klaxon annonçant une session de repos de 15 minutes, les employés laissaient leur travail sans se préoccuper si c’était important de compléter la tâche ou pas. En fait, l’une des grandes surprises était la présence d’une salle de relaxation composée de chaises longues, de masque à oxygène et de projections de scènes bucoliques et forestières sur les murs pour permettre aux employés de récupérer de leur travail jugé si exigeant. On nous a fait essayer cette technique de relaxation et, à la sortie après une dizaine de minutes, on avait beaucoup plus envie d’aller se coucher que de retourner au travail. Soulignons que tous les ouvriers étaient logés à la même enseigne dans d’immenses résidences qui leur étaient réservées.

Résidences des travailleurs.

Une chaîne de montage de 3000 km !

Après notre visite d’usine qui a été relativement courte, et celle-ci s’est terminée par l’unique vérification de la qualité des voitures. Cette vérification est constituée d’échelles métalliques boulonnées au sol. La voiture roulait sur ces échelles et si aucune pièce ne tombait de la voiture, celle-ci était prête pour la commercialisation.

On nous a ensuite incités à faire l’essai de ces magnifiques voitures, que l’on disait fraîchement sorties de la chaîne d’assemblage. Pourtant, la voiture qui m’avait été attribuée affichait plus de 3000 km au compteur. Si ce véhicule sortait de la chaîne de montage, on peut en conclure que celle-ci avait plus de 3000 km de long. Bien entendu, c’était de la foutaise.

Et ce bref essai routier effectué sur une bretelle d’autoroute encerclant l’usine nous a permis de constater que les Lada vendues au Canada et révisées tant soit peu par le distributeur canadien étaient finalement de meilleure qualité que celles destinées au marché soviétique.

Et les acheteurs de cette voiture en Union soviétique ne pouvaient se plaindre, car tout le pays leur offrait des immeubles bâclés et construits de façon incomplète tandis que les véhicules de transport en commun étaient plus souvent en panne que sur la route. Et tout le reste était à l’avenant. Pour les gens du peuple, bien entendu car je suis certain que les dirigeants du pays pouvaient s’offrir beaucoup mieux et au diable la société des travailleurs.

À notre retour, nous avons tous raconté les faits et les constatations de notre voyage. Inutile de s’attarder sur cette voiture qui était mal foutue dans le cadre de sa fabrication à l’usine et qui n’apportait rien de bien rassurant pour les acheteurs. Acheteurs qui après un certain temps ne pouvaient même plus obtenir le financement du produit et la distribution au Canada s’est éteinte graduellement.

La Lada était une Fiat 124 fabriquée en URSS dans une méga usine étigée par Fiat.