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Histoire de chars:

une visite chez les Villeneuve… en 1977

Par: Denis Duquet

14 mai 2020

Denis Duquet couvre le domaine de l’automobile depuis plusieurs décennies et il nous fait part de quelques souvenirs. Cette semaine, il nous raconte sa rencontre avec Gilles Villeneuve, chez les parents de celui-ci à Berthierville.

Lorsque Gilles Villeneuve a été embauché par Ferrari pour remplacer Nicky Lauda, le monde de la Formule 1 a été estomaqué. En effet, pour ces gens, Villeneuve ne sortait de nulle part et il prenait la place d’un champion du monde. Il avait bien dominé le circuit de Formule Atlantique au Canada, mais cette série de course automobile était pratiquement inconnue en Europe, berceau de la Formule 1. Il a fallu que James Hunt qui avait couru contre Gilles au Grand Prix de Trois-Rivières en 1976 le vante à ses patrons chez McLaren pour qu’il gradue en F1. Il a bien effectué une course impressionnante pour cette écurie en 1977, mais en fin de compte on lui a préféré Patrick Tambay que l’on jugeait plus photogénique, un atout en fait de relations publiques. De plus, la conduite agressive de Gilles les effrayait quelque peu.

Premier grand prix. Au volant d'une McLaren.

Quoi qu’il en soit, les débuts de Gilles chez Ferrari se sont déroulés à Mosport en Ontario au cours de l’avant-dernière course de la saison 1977 après que Lauda eut quitté l’écurie. Ensuite, la dernière course du championnat s’est déroulée au Japon. C’est au retour de Gilles du pays du soleil levant qu’Albert Ladouceur et moi-même nous nous sommes dirigés vers Berthierville où nous avions rendez-vous à la maison de ses parents. Nous sommes arrivés quelques minutes avant Gilles et avons engagé la conversation avec son père, Séville, qui était très fier de son fils. Non seulement il était en F1, mais il était membre de l’écurie la plus célèbre du circuit. En attendant, dans le cadre de notre discussion, nous lui avons demandé si le spectaculaire accident de Gilles au Grand Prix du Japon, survenu quelques jours auparavant, l’avait effrayé. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, au cinquième tour de la course, Gilles et son idole de jeunesse, le pilote suédois Ronnie Peterson, au volant d’une Tyrrell, se sont retrouvés côte à côte au bout de la ligne droite et aucun des deux pilotes n’a voulu céder. Les roues se sont touchées et la Ferrari de Gilles s’est envolée pour atterrir dans la foule. Le pilote s’en est tiré indemne, mais plusieurs spectateurs qui n’avaient pas d’affaires à cet endroit interdit au public ont péri.

Grand Prix du Japon: Villeneuve et Petersen.

Gilles s’est empressé d’aviser son père de l’accident. Séville nous raconte : « À sa sortie de voiture, Gilles s’est dirigé vers un téléphone pour m’apprendre la nouvelle avant que la presse diffuse l’information. Pour me rassurer, il m’a dit qu’il était correct et quant aux personnes qui avaient succombé dans le cadre de cet accident, il m’a affirmé : « Ce n’est pas trop grave, ce ne sont que des Japonais. ». Ouch ! On a compris que ce que ça voulait dire, mais ce n’était pas politiquement correct. Heureusement, cette information n’a pas été publiée telle quelle. De nos jours, une telle déclaration, même sous le coup de l’émotion, aurait enflammé les médias sociaux et il aurait été crucifié sur la place publique. Mais dans le cadre de l’événement, ses propos ont dépassé sa pensée.

Puis, nous avons entendu un crissement de pneus et une Honda Civic a pénétré à grande vitesse dans la cour. À cette époque, Gilles était associé à un concessionnaire Honda de Berthierville. Il entre dans la maison, s’excuse de son retard et nous serre la main. Ma première impression, c’est que je venais de serrer une main rugueuse, pleine d’ampoules, comme celles d’un travailleur manuel. Ce n’était pas du pipeau, quand les pilotes disaient avoir les mains ensanglantées après une course. Quant à son arrivée chez Ferrari, il nous a tout simplement dit qu’il n’avait pas eu le temps ni de s’acclimater, ni même de prendre ses repères. Il s’est dit déçu de la première course au Canada qui s’est terminé par une 12e place et désolé de sa spectaculaire embardée au Japon. Revenu sur ses terres pour quelques jours, il a pris de longs moments pour nous raconter son enfance et sa passion pour l’automobile.

Enzo Ferrari admirait Gilles. Selon lui, il s'agissait du "Nuovo Nuvolari".

Son père nous a raconté que lorsque Gilles avait six ou sept ans, il l’assoyait sur ses genoux et lui permettait de piloter la voiture alors que le paternel s’occupait de gérer le pédalier. Gilles et son frère Jacques ne retiennent pas du voisin en ce qui a trait à leur amour de la vitesse, puisque leur père les mettait au volant de la voiture familiale, les laissait piloter et pousser la bagnole la plus de 160 km/h. Et papa Villeneuve insiste pour nous dire que Gilles voulait aller encore plus vite.

Monsieur Villeneuve père était accordeur de piano et il était sûrement l’accordeur de piano le plus rapide au pays. La police l’avait à l’œil, et il était renommé pour ses multiples contraventions pour vitesse excessive. Nous avons parlé de choses et d’autres et Gilles nous a invités à aller visiter la station-service BP de l’un de ses amis. Avant de quitter le Québec pour sa carrière européenne, il a passé de nombreuses journées et même plusieurs nuits de son adolescence et de ses premières années adultes à bricoler des voitures afin qu’elles soient les plus rapides qui soient. Selon son expression, il aimait bien « picosser les chars ». Son grand ami Gaétan Giroux, propriétaire du garage où Gilles allait travailler pour modifier le moteur de sa Mustang 1967, à l’époque, se souvient: « Je lui donnais les clés du garage le soir à 11 h, il y passait des nuits complètes. »

Station BP de son ami.

Plusieurs des personnes rencontrées lors de ma visite à l’époque ont presque toutes mentionné qu’avant qu’il connaisse la gloire sur les circuits automobiles, on parlait surtout du « fou à Villeneuve » en raison de sa conduite automobile toujours à la limite. Gilles nous a tragiquement quittés en mai 1982, mais je n’oublierai jamais cet homme franc et direct dont la poignée de main disait tout. C’était un vrai de vrai.

Gilles Villeneuve, la légende. Buste à l'entrée de la piste d'essai Ferrari à Fiorano.