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Le créneau des camionnettes intermédiaires lève-t-il vraiment?

Par Éric Descarries

24 février 2021

On vient d’apprendre, de sources fiables, que Stellantis (autrefois FCA et PSA) n’aurait plus l’intention de produire une version intermédiaire du pick-up Ram que les observateurs avaient déjà baptisé Dakota (de l’ancien nom d’un pick-up de cette catégorie à l’époque…). Au moment d’écrire ces lignes, aucune explication officielle n’a été avancée. En vérité, la nouvelle viendrait plus des fournisseurs de la division FCA que de Stellantis. Mais on se demande vraiment si le constructeur n’aurait pas plutôt analysé en détails les ventes des produits de ce créneau.

Il fut un temps où ce que l’on appelait les «mini-camionnettes» jouissaient d’une grande popularité. D’abord lancé par les constructeurs japonais (Nissan, Toyota, Mazda, Mitsubishi, Isuzu) durant la crise du pétrole des années soixante-dix, le créneau fit vite repris par les constructeurs américains qui, au départ, avaient choisi d’adapter les pick-up de leurs partenaires commerciaux japonais pour le public nord-américain avant de créer leurs propres modèles. C’est ainsi que sont nées les camionnettes Ford Ranger et Chevrolet S-10/GMC S-15 qui connaîtront, encore une fois, beaucoup de popularité. Ces véhicules, disponibles en diverses configurations, étaient offerts à des prix très abordables ce qui les rendaient attirants pour les jeunes automobilistes. Ils étaient aussi très pratiques pour leurs petits commerces et pour transporter leurs «jouets» et leurs équipements de sport. Qui plus est, leur valeur marchande aidait à en baisser le prix des primes auprès des assureurs qui ne voyaient pas non plus d’attitude sportive dangereuse dans ces camionnettes (éventuellement, la situation fut renversée car, au départ, les constructeurs américains utilisaient des mini-pick-up japonais comme base à leurs propres pick-up…plus tard, ces mêmes marques japonaises utilisaient, à leur tour, des pick-up américains pour en faire des modèles à leur marque : Ford Ranger=Mazda B, Chevrolet S-10=Isuzu Hombre…).

Au travers tout cela, Chrysler (ancien nom de FCA) a décidé de créer sa propre version de la mini-camionnette (à ce moment-là, Chrysler continuait d’utiliser la version japonaise de son partenaire Mitsubishi modifiée sous le nom de Ram 50). Ainsi est née la Dodge Dakota, un petit pick-up un peu plus gros que les Ranger et les GM S-10 et S-15, créant alors le nouveau segment, les pick-up intermédiaires.

Éventuellement, seul Ford continuera de produire une véritable mini-camionnette (Ranger), les autres se lançant pour la grande partie dans le segment des intermédiaires. Tout allait bien jusqu’au début des années 2000 jusqu’à ce que la mode aux pick-up de pleine grandeur prenne son véritable envol. Les constructeurs y virent là une meilleure façon d’y faire de gros profits et les prix des intermédiaires se mirent à grimper pour s’approcher de ceux des grands pick-up. Avec le temps, les consommateurs se désintéressèrent des «petits» pick-up au profit des plus gros ce qui incita les constructeurs américains à laisser tomber le créneau. Le marché en vînt à ne plus compter que les Toyota Tacoma et Nissan Frontier (avant l’arrivée timide de la Honda Ridgeline). Le grand gagnant fut Toyota qui continua à améliorer ses Tacoma et à les renouveler au goût des acheteurs au point de s’accaparer du marché presque à lui seul.

Chez Nissan, on continua de produire le Frontier mais avec peu de changements, ce Japonais préférant se concentrer sur les plus grands Titan. Ce dernier, on le sait, n’aura pas connu pas le succès qu’on lui promettait et tout récemment, les dirigeants de Nissan ont plutôt décidé de se rabattre sur le Frontier et de le réviser.

Au travers tout cela, le vent a finalement tourné et plus d’une fois. Ford a abandonné le petit Ranger tout comme GM laissait tomber ses Colorado et Canyon (les remplaçants des S-10 et S-15). Toutefois, en 2015, GM revînt à la charge, ses analystes en étant venus à la conclusion que plusieurs automobilistes d’âge mûr allaient laisser leur VUS intermédiaire de côté. Leurs enfants ayant quitté la maison, les études démontraient que ces acheteurs aimeraient mieux un pick-up intermédiaire «urbain» pour leur bricolage et leurs excursions sportives. En vérité, on s’en doute, ils avaient bien vu comment Toyota réussissait à s’accaparer de la clientèle du créneau des intermédiaires que l’on croyait moribond!

Donc GM a redessiné ses Colorado et Canyon (sur des châssis inspirés de ceux des Silverado et Sierra) et leur mise en marché connût un certain succès au départ. Ce qui a incité Ford à ressusciter sa marque Ranger.

Mais la nouvelle Ranger n’était plus le petit véhicule abordable du passé! Les plus récentes Ranger tiennent maintenant plus du pick-up de luxe et elles sont proposées à des prix qui s’approchent très souvent de ceux des grands pick-up. Une question se pose alors: le marché veut-il encore de ces pick-up à bon marché plutôt destinés au travail manuel?

Cependant, si l’on a cru à un rapide regain de popularité des intermédiaires, les chiffres prouvent plutôt que le mouvement serait au ralenti. Est-ce vraiment dû qu’à la pandémie? Tout récemment, Nissan nous a présenté un tout nouveau Frontier (et il semble plus gros que l’ancien!) alors que Stellantis (FCA) calculerait qu’elle a déjà un pick-up intermédiaire dans son catalogue, le Jeep Gladiator, expliquant ainsi pourquoi la «nouvelle» administration de Stellantis jugerait peut-être excessives les dépenses qui mèneraient à la production d’une nouvelle Dakota. Et celle-ci pourrait aussi devenir la principale concurrente à la Gladiator vendue par les mêmes concessionnaires!

Selon le rapport que nous avons eu, l’année dernière (2020), il se serait vendu aux États-Unis un peu plus de 575 000 pick-up intermédiaires (48 667 au Canada selon Good Car, Bad Car), une légère baisse de moins de 5% comparativement à 2019 aux États-Unis (ce qui n’est pas alarmant compte tenu des circonstances atténuantes). Ironiquement, les perdants seraient (un peu) Toyota dont la Tacoma s’est quand même vendue à plus du double de sa plus proche rivale, la Ford Ranger (quelque 238 806 unités chez les Japonais contre 101 486 de Ford, au Canada, les Tacoma auraient trouvé 16 946 preneurs et les Ranger 10 840) qui, elle, a connu une hausse de plus de 13 % de ses ventes chez l’Oncle Sam. Toyota conserve quand même 41% du marché de ce créneau contre 18 % pour Ford (toujours aux États-Unis), son plus proche poursuivant.

La seule autre marque qui a connu un hausse d’importance chez nos voisins du Sud serait la Gladiator (plus 93%) mais cela est dû au fait que cette Jeep vient à peine d’être lancée. N’empêche qu’il s’en est vendu plus de 77 000 unités (4479 au Canada). Ironiquement, toujours aux États-Unis, les GM Colorado et Canyon ont perdu gros avec une baisse respective de plus de 21 et de 23 % 6648 unités pour le Chevrolet et 5030 pour le GMC chez nous) . Enfin, Nissan a vu les ventes américaines de sa Frontier baisser d’un peu plus de 49% mais ce serait dû d’abord à un véhicule (très) vieillissant et à l’annonce de l’arrivée d’un tout nouveau modèle (un total de 1355 Frontier ont trouvé preneur chez nous).

Incidemment, il faudrait peut-être inclure la Honda Ridgeline dans ce groupe. La seule différence, c’est que la Ridgeline est difficilement comparable aux autres camionnettes mentionnées ci-haut car elle n’a pas de châssis rigide, reposant surtout sur une architecture autoporteuse. Pour plusieurs puristes, il s’agirait plutôt d’une version «pick-up» de VUS. Mentionnons quand même qu’il s’en est vendu un peu plus de 32 000 aux États-Unis et 3369 au Canada.

Par conséquent, il ne faudrait pas s’attendre à trop d’innovations ou de nouveautés dans le créneau des intermédiaires au cours des années à venir. Et surtout pas à de nouveaux joueurs…sauf…! Sauf si le petit pick-up compact Maverick de Ford (un véhicule basé sur l’Escape que nous n’avons vu qu’en photo-espion jusqu’ici…) est un succès sur le marché. Si c’en était le cas, cela relancerait-il le créneau des pick-up compact?

En conclusion, il serait peut-être temps que GM demande à ses concepteurs de revoir les Colorado et Canyon. Enfin, il ne faudrait pas s’inquiéter de Toyota car le Japonais a une bonne avance et il sait surtout comment réviser son (éternelle) Tacoma pour plaire à sa clientèle déjà bien établie. Mais, on ne sait jamais…