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AMC-Jeep-Renault. Huit années de cohabitation.

par Denis Duquet

8 septembre 2020

Au fil d’une carrière qui s’est déroulée sur plusieurs décennies, Denis Duquet a été témoin de nombreuses transactions dans le monde de l’automobile. Cette fois, il nous remémore la présence de Renault sur notre marché lorsque le constructeur français s’est porté acquéreur du groupe AMC.

Récemment, la ville de Kenosha dans le Wisconsin a défrayé la manchette en raison de brutalités policières et de manifestations qui ont parfois mal tourné. Mais, on oublie que cette ville a déjà été un centre de production automobile fort important. En effet, l’une des premières usines automobiles à produire des véhicules en série a débuté en 1902, soit une année après les débuts de Oldsmobile et une année avant Ford. À l’époque, la compagnie s’appelait Thomas B. Jeffrey et produisait une voiture appelée Rambler.

Rambler 1902

Toutefois, en 1916, Charles Nash alors à la tête de General Motors se porte acquéreur de la compagnie qui porte dorénavant le nom de Nash Motors tout en demeurant indépendante de GM. Au cours des années qui ont suivi, cette usine de production automobile a été la première en Amérique à se syndiquer en 1933 alors que les employés ont formé une branche associée à la Federation Of Labor. Puis, deux ans plus tard, ce syndicat se joint à la UAW qui venait de se former à Détroit .

 

En 1937, Nash s’associe à Kelvinator, le fabricant d’électroménagers. Pendant le second conflit mondial, les usines produisent des moteurs d’avions pour l’industrie militaire. Ensuite, en 1954, Nash- Kelvinator s’associe à Hudson Motors pour créer la compagnie American Motors ou AMC. Toutefois, ce regroupement ne parvient pas à convaincre les acheteurs et les profits sont très modestes s’ils existent. Pour aider la rentabilité, AMC achète Jeep Motors de Kaiser en 1969.

Nash Ambassador

Hudson Hornet

Jeep Kaiser

Les finances chancelantes de AMC ont incité Renault à prendre les commandes de la compagnie américaine en 1979 qui est devenue AMC-Jeep-Renault. En fait, cette acquisition était surtout basée sur l’intérêt de Renault de se porter acquéreur de la marque Jeep et du réseau de distribution d’AMC. Quant aux voitures AMC, la plupart d’entre elles n’étaient pas compétitives et souvent dépassées sur le plan technique.

AMC Javelin AMX

Les Américains en jaune, les Français en jeans

Cette association s’est terminée en 1987 par l’acquisition de cette compagnie franco-américaine par Chrysler. Renault était en difficultés financières en Europe, son patron Georges Besse avait été assassiné l’année précédente et on voulait se départir de cette filière américaine peu rentable.

La présence de Renault sur le marché américain n’a pas nécessairement créé beaucoup de modèles intéressants, il y a eu la Renault 18 qui était moyenne et on attendait beaucoup de la R25 qui était assemblée dans la toute nouvelle usine de Bramalea en banlieue de Toronto. Il y a bien eu les modèles Alliance et Encore qui ont connu un succès initial, mais les ventes ont décliné lorsque les gens ont découvert la qualité minable de ces deux voitures.

Renault Alliance

Renault 25

Mais le plus intéressant dans cette cohabitation franco-américaine était le comportement des deux clans. Dans un premier temps, sans doute pour s’adapter à ce qu’ils concevaient de la vie à l’américaine, la majorité des Français affectés au marché américain se déguisait en portant des jeans et des chemises à carreaux. Par ailleurs, beaucoup d’Américains s’habillaient à la française en portant des pantalons noirs et un chandail jaune, les deux couleurs associées à Renault.

Une cohabitation parfois hilarante

J’ai eu l’opportunité de participer à quelques lancements de la compagnie AMC-Jeep-Renault. L’influence européenne se manifestait de plusieurs façons. Par exemple, ce qui était absolument interdit chez les Nord-Américains, c’était d’offrir du vin et de la bière lors du lunch dans le cadre d’une présentation. Une année, après avoir servi bière et vin, un journaliste américain a pris le volant d’une Jeep, a trouvé le moyen de le faire capoter et s’est fracturé la jambe. Malgré cela, le lendemain, les breuvages alcoolisés étaient de nouveau au rendez-vous. En plus, à une autre occasion, alors que le grand patron était parmi nous, on nous a convoqués après le dîner à une séance de cinéma. Interloqués, nous nous sommes tous présentés à la salle de bal de l’hôtel transformé en cinéma.

Mais au lieu d’un film classique ou d’un tout récent succès du grand écran, on a projeté un film porno à la grande stupéfaction des journalistes invités et au grand plaisir du patron qui commentait les ébats érotiques projetés à l’écran. En sortant de la projection, nous nous sommes tous dits : « Avec un tel dirigeant, pas surprenant qu’ils prennent des décisions parfois saugrenues. »

Lors du lancement de la Renault 18, la présentation technique a été effectuée par Philippe Ventre, l’ingénieur en chef du projet. Sans mettre en doute ses qualités de leader et d’ingénieur, sa présentation ressemblait davantage à une imitation du célèbre inspecteur Clouzeau. Et dans son laïus, il a souligné qu’on avait fait appel à des tests d’impacts en utilisant des cadavres humains « for saving precious bones of ze body ». Il fallait avoir l’expression sur les visages des journalistes américains !

Renault 18

Et vogue la galère

Bien entendu, comme Renault était le grand patron de cette association, on avait placé plusieurs dirigeants à des postes de direction. Ces personnes désignées n’étaient pas toujours les plus compétentes disponibles. Mais le légendaire piston social à la française faisait des merveilles. Par exemple, on avait confié la direction de l’usine d’assemblage des Jeep Cherokee à une personne qui avait essentiellement de l’expérience dans les brasseries. Et selon les dires de plusieurs, il gérait cette usine comme s’il s’agissait d’une usine brassicole. Ce personnage avait une maîtresse et pour impressionner celle-ci, il a fait « pimper » une Cherokee avec une présentation extérieure spéciale, des roues exclusives, un habitacle avec sellerie de cuir et un équipement fort complet.

Cependant, le grand patron de la compagnie est venu visiter l’usine et il s’est interrogé quant à la présence de ce véhicule pour le moins exclusif qui était stationné à la sortie de la chaîne d’assemblage. Coincé, notre directeur a affirmé que c’était une surprise qu’il lui réservait et que c’était sa conception de ce que devrait être un nouveau modèle Cherokee de luxe. Sa présence d’esprit lui a sauvé son job, puisque le grand patron a été impressionné et a décidé sur-le-champ de produire cette version plus huppée. Parfois, l’incompétence est récompensée.

Jeep Cherokee Limited 1983

Jeep Cherokee Limited 1983

En fait, les produits Renault destinés à l’Amérique étaient plus ou moins de nature à être des concurrents aux producteurs américains. D’ailleurs, lorsque Chrysler a acquis AMC-Jeep-Renault, on a créé la division Eagle pour commercialiser les produits Renault sous une autre enseigne, mais le projet n’a pas duré, les produits n’étaient pas suffisamment attrayants pour intéresser les clients. Et pas question de souligner l’association de ces modèles à Renault, puisque la cote du constructeur français était tellement mauvaise, que Chrysler a été obligé d’éliminer tout élément qui pourrait associer ces voitures, à Renault. On est même allé à enlever les écussons de la régie sur les radios et certaines composantes.

En plus de l’entente de non-compétition entre Renault et son acquéreur américain pendant un certain nombre d’années, on ne peut s’empêcher de donner raison au constructeur français d’être hésitant d’effectuer un retour sur notre marché. On a préféré offrir des modèles Nissan faisant appel à certaines composantes de son associé français.

L’histoire de l’assemblage automobile à Kenosha s’est terminée en décembre 1987 alors que Lee Iacocca a annoncé la fermeture de la production automobile à Kenosha, suite à l’achat d'AMC-Jeep-Renault la même année.

Eagle Premier AKA Renault 25