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Bentley ré-écrit l’histoire!

Par Éric Descarries

photos par Bentley

29 décembre 2020

C’est un tout nouveau monde de l’automobile qui se prépare sous nos yeux. En effet, tout nous indique que nous nous dirigeons vers l’électrification des véhicules de tout gabarit. Cette nouvelle approche saura-t-elle écrire sa propre histoire avec autant de piquant que celle qui disparaît lentement sous nos yeux? Seul le temps pourra nous le dire. Toutefois, il sera impossible aux mordus de l’automobile d’oublier son histoire qui remonte à déjà plus d’un siècle !

Déjà, nos plus jeunes lecteurs peuvent à peine s’imaginer ce qui s’est fait depuis ce temps. Ceux-ci, plus impressionnés par les exploits des grands constructeurs européens, asiatiques et même américains n’ont aucune idée de la place que l’industrie automobile anglaise avait dans l’histoire de l’automobile à venir jusqu’au tournant de siècle actuel.

En effet, l’industrie automobile britannique a joué tout un rôle dans cette histoire. Les «British» y ont été tellement importants qu’on a peine à croire qu’ils n’y sont plus. En fait, ils n’y sont «presque plus» car leurs plus grandes marques survivent maintenant surtout sous gouverne allemande à moins qu’elles ne soient disparues. Dans ce cas, il faut se rappeler les Austin, Morris, MG, Standard, Triumph, Sunbeam et autres, des noms qu’on ne voit plus de nos jours mais qui furent jadis de véritables géants. Les autres, les Jaguar, Land Rover, Rolls-Royce et Bentley sont tombées dans le giron de grandes marques comme Tata (d’Inde), Volkswagen ou BMW (plus récemment, Aston Martin est devenue en quelque sorte une compagnie canadienne grâce à son rachat par le Montréalais Lawrence Stroll).

Mais ce que l’on retiendra des British (outre leurs incroyables avions de la Deuxième Grande Guerre), ce seront les superbes autos sport qu’ils nous ont fait connaître. Dès les années vingt, les constructeurs anglais ont commencé à produire des «sports cars» de tout gabarit dont le plus spectaculaire demeurera la fameuse Jaguar de Type E (XKE) et le plus populaire, la MGB ! D’ailleurs, de nos jours, nombreux sont les petits constructeurs qui réussissent à faire revivre des «sports cars» britanniques en les reproduisant, le meilleur exemple étant l’AC Cobra, une auto qui aura débuté sous la robe de l’AC Ace des années cinquante que l’Américain Carroll Shelby a réussi à immortaliser en lui glissant un petit Ford V8 sous le capot et en la rebaptisant Cobra! De nos jours, on ne compte plus le nombre de petits constructeurs artisanaux qui reproduisent la Cobra!

Il en aura fallu du temps pour que certains constructeurs décident de reproduire leurs plus populaires modèles à commencer par Shelby American qui a récemment fidèlement recréé une cinquantaine de «petites» Cobra 289 identiques à celles de 1964. Ces autos se sont vendues en quelques heures à un prix quand même abordable (moins de 150 000 $). Le légendaire constructeur britannique Jaguar a décidé d’en faire du pareil et il a recréé un nombre limité de Type E presque parfaitement identiques à la voiture de 1961. Toutefois, ses dernières «recréations» ne peuvent être légalement immatriculées alors que Jaguar n’a pu (ou voulu) leur inclure les plus récents accessoires de sécurité exigés par les divers gouvernements sans changer littéralement le véhicule qui deviendrait alors méconnaissable! Cependant, ces reproductions ont connu un succès incroyable alors que les «collectionneurs» n’ont pas hésité à se procurer ces Jag tout en sachant très bien qu’elles ne pourront jamais rouler sur les routes publiques (mais qui feront tout un «tabac» lors d’événements sur terrains privés).

Aston Martin a compris l’impact de ces «reproductions» et s’occupe actuellement à reproduire ses DB5 qui ont connu leur heure de gloire dans le film de James Bond 007 «Goldfinger». Encore une fois, ces quelques 25 autos (déjà toutes vendues ou promises à des collectionneurs comme les studios qui ont tourné les James Bond 007) ne pourront prendre les routes publiques (n’ayant pas passé les «crash tests» fédéraux obligatoires…mais alors, qui veut détruire des pièces de collection valant plus d’un million de dollars ?).

Et c’est ici que le légendaire constructeur britannique Bentley (maintenant dans le giron de Volkswagen) entre en scène. Sa voiture la plus légendaire demeure Bentley Blower de 1930, une imposante voiture mue par un moteur à quatre cylindres de 4,5 litres suralimenté par un compresseur mécanique (très visiblement) placé à l’avant. Cette auto a connu un développement plutôt erratique avant d’être modifiée pour courir aux 24 Heures du Mans de 1928. Cette Bentley n’a pas gagné la course d’endurance mais, produite en quatre unités, elle a frappé l’imaginaire des amateurs de belles autos et la Blower Bentley est devenue non seulement un classique inimaginable mais aussi un des grands classiques du domaine de l’auto. Pendant des années, l’auto n’a été disponible qu’en versions miniaturisée de toutes échelles, assemblée ou à construire. Mais tout récemment, un groupe de mordus de la marque se sont rassemblés chez Bentley Mulliner en Angleterre pour construire à partir de matériaux bruts une douzaine de reproductions de la Blower Bentley 1929 de Sir Tim Birkin pour collectionneurs seulement. Vous aurez compris, encore une fois, que ces Bentley ne seront pas «légalement» permises sur les routes publiques.

Mais ce qui est plus extraordinaire, c’est que chacune de ces Bentley sera construite EXACTEMENT pareille à celles de 1929! Toutefois, l’auto devra être capable de vraiment rouler avec fiabilité! Pour ce faire, un groupe d’artisans de Bentley a été formé afin d’analyser et reproduire CHAQUE pièce originale de l’auto à partir d’un exemplaire original et de photos d’époque. La voiture originale, une des quatre autos de l’époque arborant le numéro 2, a été minutieusement démontée et toutes ses pièces (fichées par Laser) ont été numériquement reproduites par CAD (Computer Aided Design). Remontant le tout, l’équipe a réussi à créer un premier prototype, Car Zero, qui servira de base aux 12 exemplaires qui seront revendus à des clients spécifiques sous le nom de Bentley Continuation Series.

Certaines pièces ont été confiées à des ateliers spécialisés et reproduites par de véritables artisans. Par exemple, le châssis-cadre d’acier riveté a été fait par Israel Newton & Son de Derby (qui a longtemps fabriqué des chaudières de locomotives à vapeur) alors que les radiateurs ont été confiés à Vintage Car Radiator Company de Bicester incluant la carrosserie en nickel-argent l’entourant. La même compagnie a aussi formé le réservoir d’essence en acier et en cuivre! Jones Springs Ltd de West Midland, une autre petite compagnie artisanale, cette fois avec plus de 75 ans d’expérience, s’est vue confier la tâche de reproduire les lames de ressorts. Les phares avant ont été refaits par Vintage Headlamp Restauration alors que la structure de frêne de la carrosserie fut confiée aux artisans de Bentley qui se sont aussi occupé de la tôlerie de la carrosserie. La peinture noire lustrée et le cuir rouge de l’intérieur viennent aussi de l’usine de Crewe de Bentley.

La mécanique de la Blower Bentley a été fidèlement reproduite par les artisans de l’usine de Crewe. Le moteur, une véritable œuvre d’art qui, dès les années vingt, incorporait des spécifications très modernes dont un arbre à cames en tête, des pistons en aluminium, un double allumage et quatre soupapes par cylindres en plus du compresseur Amherst Villiers de type Roots, a été complètement fait et surtout testé à l’usine de Crewe où il y a toujours un gabarit d’essai pour gros moteurs (cette usine avait déjà servi à la fabrication des V12 Merlin pour les avions Hurricane et Spitfire de la Deuxième Grande Guerre). Crewe était, à l’origine, une usine de Rolls-Royce qui construisait aussi les Bentley, ne l’oublions pas! Incidemment, ce moteur de 4396 cm3 doit développer 240 chevaux à 4200 tr/mn.

Pour le moment, il n’existe qu’une seule unité de Blower Bentley de la Série Continuation. Celle-ci sert actuellement de prototype d’essai aux douze exemplaires à venir. La construction de ces autos pourrait demander plus de deux ans. Quant au prix, Bentley n’en a pas encore annoncé la valeur. Mais souvenez-vous que cette auto ne sera disponible que pour des collectionneurs sérieux qui ne pourront les utiliser que sur des terrains privés. La Bentley originale de Sir Birkin (qui a servi de modèle au proto) s’est vendue plus de 7 millions $ US à un récent encan américain. La Bentley «Zero Car» a exigé quelques 40 000 heures de travail pour la reproduction de 1846 pièces originales (heureusement, Bentley en avait encore les gabarits originaux)…on peut facilement imaginer une facture dépassant allègrement le million de dollars américains par unité !

Évidemment, une telle aventure ne se fait pas sans froisser quelques âmes puristes. En effet, les propriétaires de telles Bentley originales ne sont pas très heureux de voir leurs bijoux reproduits ce qui pourrait faire «tomber» la valeur de leur unité originale. Mais Bentley a promis d’y voir…ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles!