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Mémoire de chars

Les photos de la pharmacie du coin

Texte : Denis Duquet

5 novembre 2021

 

Pendant quatre décennies, j'ai été impliqué dans la rédaction et la production du Guide de l'auto. Et il faut savoir que dans les années 80, il n'y avait pas d’Internet, de mise en page électronique et même pas de courrier de type Federal Express. Et non plus, les photos n'étaient pas numériques, mais argentiques. Donc, pour avoir les photos, il fallait généralement aller les chercher dans les salons de l'auto un peu partout sur la planète ou encore prendre les photos nous-mêmes. 

En 1982, le dévoilement de la Chevrolet Camaro et de la Pontiac Firebird a été retardé tard à l'automne, ce qui nous empêchait de les intégrer dans l'édition 1983. Et, chez General Motors, on ne pouvait pas nous expédier quelques photos à l'avance, puisque c'était enfreindre les règles de l'embargo. En compensation, on nous a invités à nous rendre au centre d'essais de GM à Milford dans le Michigan pour prendre connaissance d'une nouvelle berline Oldsmobile et quelques autres nouveautés. 

En premier lieu, Jacques Duval, le grand patron du Guide, avait été invité à prendre connaissance de photographies originales de la future Chevrolet Camaro. Comme j'étais son assistant, j'ai eu la chance moi aussi de prendre connaissance de la future voiture. On nous a amenés dans un bureau, puis la personne qui nous accompagnait  nous dit après avoir mis des boîtes de diapositives sur une table qu'il allait revenir dans 15 minutes. 

Nous avons compris le message, et nous sommes empressés de prélever quelques diapositives que nous avons dissimulées dans notre porte-monnaie, dans nos bas, dans nos doublures de coupe-vent afin de pouvoir présenter ce nouveau modèle dans l'édition du Guide dont la date de tombée n'en était que dans  quelques semaines. 

Chevrolet Camaro 83

Nous étions très fiers de notre coup, cela va sans dire. Puis, on nous a amenés à une aire d'essai dynamique pour que Jacques puisse faire l'essai de la nouvelle Oldsmobile Ciera qui allait être commercialisée dans plusieurs mois. Il prend le volant et aborde un parcours d'essai sur cette surface immense. Malheureusement, après quelques virages, la voiture cale et le moteur ne veut plus démarrer. La représentante des communications d’Oldsmobile qui nous accompagnait était fort désolée puisque c'était de fort mauvais augure. Elle a parlé à ses supérieurs et on nous a promis que nous allions pouvoir conduire une autre version de cette berline. 

Oldsmobile Ciera

Alors que nous attendions patiemment l'arrivée de la voiture de remplacement, voilà qu'au bout de cet immense espace d'essai on voit arriver ce qui allait être la Pontiac Fiero. Nullement camouflée, la voiture pénètre sur le territoire , effectue un petit tour avant que quelqu'un informe le conducteur qu'il y avait des étrangers sur place et que cette voiture n'était pas la bienvenue. 

Comme je devais prendre des photos de l'Oldsmobile, j'avais apporté tout mon équipement photographique qui comprenait deux boîtiers Nikon et une panoplie d'objectifs. Tout cela dans une valise de transport en aluminium qui était ouverte à mes pieds. 

Pontiac Fiero

Bien entendu, lorsque j'ai vu arriver la Pontiac, je me suis empressé de prendre des multiples photos avec le téléobjectif le plus puissant que j'avais ce jour-là. Comme la voiture n’a fait qu'un petit tour avant de quitter, je n'ai pu prendre que quelques rares clichés et comme la voiture était relativement loin, les résultats ont été décevants. Mais ça valait au moins la peine d'essayer. 

Puis, une vingtaine de minutes plus tard, alors que nous attendions toujours, un représentant de la sécurité est venu me voir et m'a informé que l'on avait observé que j'avais pris des photos de la Pontiac. Il m'a poliment demandé de lui remettre mon film, tout en soulignant qu'il faisait partie du service des incendies et qu'il n'était agent de sécurité que pour remplacer quelqu'un. Il ne voulait pas avoir d’ennuis. Je saisis l'un des appareils photo, je rembobine le film que je lui remets. Il me remercie et sans attendre retourne à son travail. 

Ce qu'il ne savait pas, c'est que je lui ai remis une bobine de film noir et blanc de photos prises de la Audi coupé qui avait été mise à notre disposition par Audi USA pendant notre séjour à Détroit et que j'avais photographiée en détail, car cette voiture n'était pas encore disponible au Canada et que c'était avantageux pour nous de l'inscrire dans le Guide. 

Jusque-là, pas de problème. Mais à un moment donné, chez General Motors, on a paniqué. On avait fait développer ces photos à la pharmacie de Milford. Et lorsqu'ils ont vu les photos, ils ont été atterrés. En effet, comme ils ne reconnaissaient pas la voiture, ils se sont dit que c'était un prototype ultra secret de la compagnie, et qu'on avait vraiment outrepassé nos droits en effectuant des photos d'espions à leurs dépens. 

Selon ce que l'on nous a raconté, on a envoyé un mémo alarmiste à la haute direction du centre d'essais en nous traitant d’espions à la solde d’un concurrent, c'était sérieux. Du moins jusqu'à ce qu'un ingénieur examine mes photos et s’esclaffe en leur soulignant qu'il s'agit d'une voiture Audi vendue commercialement aux États-Unis. Oubliez les photos d'espionnage ! 

Audi Coupé 83

La saisie de cette pellicule n'avait pas eu d'inconvénient pour la production du livre puisque j'avais effectué de multiples clichés qui étaient sur un autre rouleau de pellicule. Quant à la connaissance du monde automobile chez les officiers de sécurité du centre de Milford, on a eu la preuve que leur connaissance était plus que limitée. Après tout, les anneaux d’Audi sont facilement identifiables. 

Enfin, quant à la Oldsmobile Ciera qui devait arriver en remplacement de celle qui avait connu des ennuis, nous l'attendons encore. La pauvre dame s'est excusée à de nombreuses reprises, mais nous sommes retournés à Montréal avec plusieurs choses à raconter et quelques photos de la Camaro dans nos bagages.