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Quand les stylistes se trompent

texte de Denis Duquet

18 décembre 2021

 

Il est généralement facile de critiquer la silhouette d'une voiture, ironisant souvent quant à la laideur ou du moins l'apparence incongrue d’un véhicule. Pourtant, les stylistes ne sont pas toujours à blâmer. En effet, ils doivent souvent répondre à un cahier de charges et souvent suivre les directives d'un grand patron dont les goûts ne sont pas toujours à la hauteur. 

Je me suis amusé à colliger une dizaine de véhicules dont la silhouette au fil du temps n'a pas fait l'unanimité. Je me suis limité à 10, mais croyez-moi, la source est pratiquement inépuisable. Les voici par ordre alphabétique. 

AMC Gremlin 

Il est difficile de croire que la terrible Pacer a été lancée quelques années après l'incroyable Gremlin. Pourtant, cette voiture dont la section arrière avait été charcutée n'a certainement pas remporté des prix d'élégance. Cependant, on était en crise pétrolière et les gens recherchaient de petites voitures qui devaient théoriquement consommer moins. Malheureusement, son moteur six cylindres n'était pas nécessairement frugal. Et même si la voiture avait l'apparence d'un hatchback, on accédait au coffre par la lunette articulée.   

AMC Pacer 

À la dérive financière depuis des années, la société AMC désirait mettre sur le marché une automobile qui ferait époque. Ils ont concocté cette monstruosité dont la section avant et la partie arrière semblaient avoir été dessinées par deux comités différents. En plus de cette silhouette saugrenue, la qualité de l'assemblage, le comportement routier et la fiabilité n'étaient pas au rendez-vous. Détail à souligner, la portière de droite était plus large afin de favoriser l'accès aux places arrière. En raison de la surface vitrée, on croyait rouler dans un aquarium. 

Chrysler Airflow 

De nos jours, les qualités aérodynamiques d'une voiture sont essentielles pour réduire la consommation de carburant, assurer un bon comportement routier et en plus réussir à attirer la clientèle à la recherche de voitures à faible résistance à l’air. Mais, dans les années 30, cela n'a pas été la même chose. Pourtant, chez Chrysler, on avait cru à la solution miracle avec cette voiture dont la silhouette était étudiée pour réduire la résistance à l’air. Parfois, une bonne idée arrivée trop tôt ne réussit pas à convaincre les gens. Ce fut un échec à tous les points de vue et cela a sérieusement inquiété le constructeur au chapitre des finances pour une certaine période. Détail à souligner, parfois on inversait la carrosserie de sorte que la voiture semblait rouler en marche arrière sur les autoroutes. 

Citroën Bijou 

Curieux nom pour une voiture et curieuse silhouette pour une automobile. En effet, à voir la photo, on a l'impression qu'on a photographié une voiture jouet destinée à des enfants. Cette auto n'a pas connu une grande diffusion puisqu’un peu plus de 200 unités ont été produites. La raison, c'est que cette voiture était en fait une 2CV dotée d'une carrosserie plus moderne et destinée exclusivement au marché de Grande-Bretagne. Détail à souligner, la carrosserie était en fibres de verre. Malgré son allure plus moderne, la Bijou était propulsée par un anémique moteur deux cylindres et peinait à atteindre une vitesse maximale de 80 km/h. 

 

Excalibur SSK 

Il n’y a probablement que les Américains qui réussissent à produire une voiture qui se veut la réplique de la légendaire Mercedes SSK, l'une des plus belles voitures sport de l'histoire, et en faire un objet de dérision. Un riche industriel américain du nom de Brook Stevens adorait cette Mercedes-Benz et a voulu lui rendre hommage en recréant une version plus moderne. Le résultat est catastrophique. Les proportions de la voiture sont mauvaises et la silhouette est une caricature. De plus, la carrosserie en fibre de verre n'est pas nécessairement un gage de qualité et d'assemblage. Cependant, le moteur V8 emprunté à la Chevrolet Corvette permet d'excellentes accélérations, mais le comportement routier de cette voiture n'a rien de bien sportif et a causé bien des frayeurs à son pilote. 

Fiat Multipla 

Le plus important constructeur italien a voulu tenter de résoudre la quadrature du cercle en produisant une voiture de taille relativement modeste, mais suffisamment large pour permettre d'asseoir trois personnes à l'avant et un même nombre sur la banquette arrière. Cette exigence en soi n'a rien d'impossible, mais soulignons que l'exécution a été déficiente sur le plan visuel il en a résulté une voiture aux formes étranges et dont la largeur empêchait parfois cette voiture de fréquenter les rues très étroites de certaines cités de la péninsule. Et on a mis le paquet en matière de marketing, on a même utilisé l'image de Michael Schumacher au volant d'une Multipla pour tenter de convaincre les acheteurs. Mais même le charisme et la réputation du champion allemand n'ont pas suffi. 

 

Ford Edsel 

Si un représentant du constructeur Ford s'emballe en vous parlant de quelques modèles réussis de ce constructeur, et que cela vous agace, vous pouvez lui couper le sifflet en parlant de la Edsel. Cette grosse voiture portant le nom du fils de Henry Ford avait été élaborée avec des investissements financiers presque sans équivalents pour l'époque et c'était la voiture qui devait révolutionner le marché et renvoyer les dirigeants de General Motors à leur table à dessin. Malheureusement, plusieurs raisons expliquent cet échec retentissant, mais le public n'a pas embarqué en raison d’un style assez rébarbatif, d’un prix assez élevé et d'un fonctionnement relativement complexe qui était inutile pour l'époque. De nos jours, on mentionne surtout sa grille de calandre assez particulière qui est devenue quasiment le symbole de la laideur 

 

Lamborghini Espada 

Règle générale, les designers ont beau jeu lorsque vient le temps de dessiner une voiture sport, ils n’ont pas à se préoccuper des places arrière ou encore de la dimension du coffre à bagages. On ne sait pas quel a été le cahier de charges imposé à Bertone, mais il en est résulté une voiture aux allures assez particulières, notamment à la section arrière. Plusieurs vitres placées à l’arrière tentaient en quelque sorte d'alléger la lourdeur de l'ensemble. Comme il se doit pour une Lamborghini à cette époque, cette voiture était propulsée par un impressionnant moteur V12. En plus de cette silhouette qui faisait sourire, la qualité de fabrication laissait à désirer tout comme la fiabilité. Et comme ce n'était pas assez, la rouille a été un sérieux problème pour cette Italienne de prix élevé. 

 

Mazda Cosmo 

À la fin des années 60, Mazda s'est convertie tout de go au moteur rotatif Wankel. Malheureusement, ce groupe propulseur n'était pas au point et sa fiabilité laissait à désirer sans oublier une consommation d’huile phénoménale tout comme une facture de carburant passablement élevée. Comme si ce n'était pas suffisant, les stylistes maison ont concocté un coupé sport deux portes d'une laideur incommensurable. Malheureusement pour les gens de Mazda, ils sont les seuls à trouver ce véhicule joli et ils ne se font pas prier pour l'exposer à chaque fois qu'ils en ont l'occasion.  

Pontiac Aztec 

Cette division de GM n’est plus de nos jours, mais à une certaine époque, on était persuadé que ce VUS aux allures bizarres allait permettre à cette division de remonter la pente et convaincre les patrons d’investir davantage dans le développement de nouveaux produits. Ses concepteurs voulaient que l'Aztec soit autre chose qu'une version différente d’un Chevrolet. Ils ont joué d'audace et les stylistes affirmaient s'être inspirés de différents éléments de leur entourage en cette période notamment créative, ils ont cité  l’iPod, des vélos de montagne, des vêtements techniques et tous les accessoires BCBG de l'époque. Le résultat : un véhicule aux allures étranges, qui est rapidement devenu l'objet de risée et qui n'a pas connu les succès escomptés. Curieusement, le taux de satisfaction des gens qui osaient acheter un Aztec était l'un des plus élevé de l'industrie. 

 

Volvo 262 C 

Chez Volvo, à une certaine époque, on désignait les modèles de la marque comme étant des boîtes de chaussures sur roues. Les formes carrées manquaient de subtilité aux yeux de plusieurs. La haute direction a alors eu la mauvaise idée de transformer une berline en version deux portes. Et on ne s’est pas contenté de modifier la carrosserie elle-même, mais on a abaissé le toit de façon significative. Ce qui a eu pour résultat de proposer une silhouette assez peu engageante. On a quasiment soudoyé la maison Bertone de s'associer au projet et de produire la voiture dans ses ateliers. Selon Nucio Bertone, les Suédois ont débarqué dans son bureau avec des exigences  que le carrossier italien devait respecter. Comme cette entreprise devait survivre, on n'a pas renié une importante entrée de fonds. Heureusement, quelques années plus tard, Bertone a réalisé une deuxième génération nettement plus élégante d’un coupé de la gamme 780. Un détail, on avait revêtu le toit de vinyle afin de camoufler les soudures rendues nécessaires par la modification du toit. Ouch ! 

Les experts n’ont pas eu raison 

Ces quelques voitures aux formes assez peu inhabituelles ont connu une popularité en retrait, essentiellement en raison de leur conception visuelle qui laissait à désirer. Du moins aux yeux des acheteurs qui ont préféré se tourner ailleurs. Par contre, il arrive parfois qu'une voiture qui a été décriée aussi bien par les spécialistes, les stylistes et les décideurs ait connu un succès phénoménal. Il s'agit de la Volkswagen Beetle. 

En effet, on disait qu'une voiture arborant des formes  des années 30 ne plairait pas au public et que les ailes  avant dégagées de la caisse avec phare intégré était d’une autre époque et que personne n'en voudrait. Il faut en plus ajouter parmi les éléments négatifs le  moteur arrière refroidi à l’air qui  n'avait plus sa place dans la période d'après-guerre. 

Mais, c'est pourtant cette silhouette assez inusitée qui a plu à l'ensemble de la planète. Son allure était unique, la voiture se démarquait des autres sur le marché. Mais en fait, on n’achetait pas une Beetle pour sa beauté, mais surtout pour sa faible consommation de carburant, sa capacité de rouler à plus de 120 km toute la journée et sa simplicité qui facilitait l'entretien et la réparation. 

Somme toute, il n'y a pas de recette garantie pour permettre à un véhicule de connaître beaucoup de succès. La réputation d'une marque, sa silhouette, ses qualités mécaniques, sa consommation de carburant et surtout la réputation du constructeur sont autant d'éléments qui entrent en ligne de compte.  

Malgré tout, il arrive parfois que quelqu'un me demande quel véhicule serait le mieux adapté à sa situation familiale et économique, et après lui avoir suggéré un ou deux modèles, cette personne se tourne vers moi et me dit: « Je ne l’aime pas, yé pas assez beau". On revient alors à la case départ.