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Quand le passé inspire le futur

Chrysler Airflow

texte de Denis Duquet

10 janvier 2022

Cette année, au CES , Chrysler s'est mis en vedette avec la présentation d'une voiture concept, le Airflow. Cette voiture concept aux allures aérodynamiques et modernes annonce l'arrivée de ce constructeur dans le monde du véhicule électrique. En effet, on promet que Chrysler commercialiserasa première auto à propulsion électrique en 2025 et que toute la gamme sera électrifiée d'ici 2028. Ce qui soit dit en passant ne sera pas tellement difficile puisque pour le moment, seule la fourgonnette Pacifica représente ce constructeur sur le marché. 

Bien entendu, l’Airflow possède toutes les caractéristiques techniques, électroniques et esthétiques propres à la majorité des voitures électrifiées. Mais ce que je trouve le plus cocasse, c'est l'utilisation de l'appellation. En effet, si vous ne le savez pas encore, Chrysler dans les années 30 a produit un véhicule aux formes aérodynamiques nettement en avance sur son temps. Malheureusement, l’Airflow de l'époque a été un bide monumental.

Initialement commercialisé en 1934, le constructeur s'est rapidement rendu compte que le public n'acceptait pas cette initiative esthétique et les ventes ont laissé à désirer. Soulignons que la marque De Soto a également contribué à la commercialisation de son propre modèle Airflow sans plus de succès.  

Tentant de renverser la tendance, les modèles des années 1935,1936 et 1937 ont connu plusieurs modifications afin de tenter de convaincre les gens de s'intéresser à cette voiture qui était révolutionnaire pour l'époque. Malheureusement, tous ces efforts n'ont rien donné et on a abandonné la production en 1937. Soulignons au passage que Chrysler Canada a produit son propre modèle Airflow. 

Voilà pour la petite histoire. C'est pourquoi je me demande pourquoi on a choisi d'utiliser le nom de modèle qui a été l'un des pires échecs commerciaux et d'estime de ce constructeur. Chrysler possède dans sa banque de noms de modèle plusieurs options et plusieurs choix qui pourraient faire l'affaire. Pourquoi raviver le passé ? À une certaine époque, lorsqu'on parlait d'une voiture catastrophe, on faisait souvent référence au Chrysler Airflow. 

C'est un peu comme si Ford dévoilait un nouveau modèle qui serait appelé Edsel, que Chevrolet tentait de relancer la Corvair et que Renault voudrait à nouveau s'implanter en Amérique avec un modèle appelé Dauphine. Ce n’est pas plus logique. 

Un Ford Edsel 2025 ? 

Certainement pas ! Aucun constructeur d'importance n'est à l'abri d'un échec d'importance avec l'un de ses modèles. Pour le constructeur de Dearborn, c'est sans aucun doute l'Edsel, une gargantuesque berline également disponible en version cabriolet et familiale qui portait le nom du fils de Henry Ford ,Edsel. Cette voiture aux dimensions plus que généreuses a été commercialisée en 1958 pour être abandonnée en 1960. 

Dans l'histoire de l'automobile, c'est l'une des carrières les plus courtes jamais enregistrées. Cet échec incidemment a coûté plus de 250 millions de dollars à Ford et plombé les  finances pendant quelque temps. 

Les raisons de cet échec sont nombreuses. Non seulement l'arrivée de ce modèle sur le marché n'était pas appropriée pour l'époque, mais la voiture était jugée d'une laideur consommée, son coût était élevé, son comportement routier décevant et en plus on dit que la fabrication aurait être plus sérieuse. Voilà autant de raisons qui font du modèle Edsel un autre synonyme de voiture ratée et boudé par le public. Je ne crois pas que Ford oserait relancer un modèle portant ce nom, même s'il était électrifié. 

Chevrolet Corvair 

Si la silhouette des modèles Chrysler Airflow et Ford Edsel a été en grande partie responsable de leur échec, en ce qui concerne la Chevrolet Corvair, c'est surtout sa configuration mécanique qui a poussé le constructeur à l'abandonner. En tout premier lieu, on voulait contrer la popularité de la Coccinelle de Volkswagen et pour cela on a concocté une voiture à moteur arrière refroidi à l’air. Une mécanique assez peu utilisée chez les constructeurs nord-américains. Quant à la silhouette, elle a été jugée élégante par la majorité des spécialistes et le public l'a adopté d'emblée. Il faut souligner qu'il y a eu deux générations de Corvair. La première a été commercialisée de 1961 à 1964 et elle était offerte en version quatre portes, coupé deux portes, cabriolet, fourgonnette de passagers, fourgonnette commerciale et finalement une camionnette. 

 

Celle-ci n'a pas tellement connu une grande diffusion et ce modèle est très prisé par les collectionneurs qui sont prêts à débourser beaucoup d'argent pour cette camionnette dotée d'une porte latérale et d’un renflement sur l'arrière de la boîte de chargement en raison de la présence du moteur à l’arrière. 

Ce modèle a connu beaucoup de succès du moins  jusqu'à ce que l'avocat des consommateurs, l'américain Ralf Nader dans son livre « Unsafe at any speed » a accusé ce modèle d'être la voiture la plus dangereuse sur le marché en raison de sa suspension arrière qui, selon lui, provoquait des capotages et des pertes de vie.  

Ce livre et la participation de cet avocat à un comité d'étude du Sénat américain ont littéralement bousillé les chiffres de vente de ce modèle. 

Puis, de 1965 à 1969, une version entièrement révisée et dotée d'une suspension arrière totalement différente de celle de la première génération a été commercialisée, mais les ventes n'ont jamais réussi à surmonter cette campagne de dénigrement. 

De nos jours, lorsqu'on parle de ce modèle, on conclut que c'était une voiture dangereuse. Cependant, différentes études comparatives de la Corvair avec des modèles concurrents de l'époque, soit Ford Falcon, Plymouth Valiant, Volkswagen Beetle et Renault Dauphine ont démontré que la Chevrolet n'était pas plus dangereuse que ces modèles concurrents, lorsque poussés à la limite. 

Malgré tout, le nom de Corvair est associé à un échec important pour Chevrolet.

Renault Dauphine 

Lorsque Chrysler s'est porté acquéreur de AMC–Jeep–Renault en 1987, on a fait des études de perception de la marque Renault auprès du public américain puisque dans l'entente, il y avait des usines produisant des modèles Renault destinés à l'Amérique. Malheureusement, la réponse a été tellement négative concernant la marque française, que l'on a enlevé toute association avec la marque Renault en enlevant tous les logos de la marque, même ceux qui étaient sur la radio, et on a développé une nouvelle division, Eagle, et rebaptisée les modèles Renault afin que le public américain puisse les accepter. 

La raison de cette piètre réputation est basée sur la Renault Dauphine dont la carrière catastrophique en Amérique du Nord est demeurée bien ancrée dans la mémoire des Nord-Américains. 

Pourtant, cette petite voiture aux dimensions plus ou moins semblable à celle d'une Volkswagen Beetle avait été initialement fort bien accueillie en raison de sa capacité à se faufiler dans le trafic urbain, de sa silhouette que l'on jugeait élégante et de son prix très compétitif. En Europe,ce modèle avait dépassé le cap des millions d'exemplaires vendus en moins de quatre années, ce qui était exceptionnel. 

Son arrivée en 1958 sur notre continent a été initialement couronnée de succès. Dans plusieurs états américains, cette petite voiture française se vendait plus que l'incontournable Beetle de Volkswagen. Mais les gens ont rapidement déchanté parce que cette voiture avait été initialement conçue pour les routes rurales de la France puisque ce pays n'a adopté les autoroutes qu’à la fin des années 50. Tandis que la Volkswagen avait été développée pour rouler toute la journée à 120 km en sur les Autobahn allemandes construites dans les années 30. 

Et une voiture qui met plus de 30 secondes à atteindre la vitesse de 100 km/h n'est pas tellement adapté à notre circulation. On a eu beau pousser la puissance de la Dauphine à 32 chevaux, les performances ont toujours été déficientes. Mais le cheval de Troie de cette voiture a été sa faible résistance à la corrosion. Une année passée dans le Nord-est américain où l'emploi d'abrasifs et de sel sur les routes avait raison de cette carrosserie en moins de quelques mois. 

Le mot s'est répandu et les gens ont cessé abruptement d'acheter cette voiture. Les stocks se sont accumulés et, à une reprise, deux navires transportant des Dauphines de la France aux États-Unis ont dû rebrousser chemin, car il n'y avait plus d'espace sur les docks de New York, ceux-ci étaient encombrés de Dauphines incapables d'être livrées aux concessionnaires qui avaient des stocks en surplus. Bref, là encore, on peut difficilement croire qu’une Renault Dauphine ressuscitera un jour. 

Oubli ou espoir ? 

Donc, avec le concept Airflow, Chrysler semble avoir oublié son passé qui a été catastrophique du moins à propos de ce modèle ou bien on a espoir de raviver une voiture qui était technologiquement avancée, mais boudée par le public il y a environ trois quarts de siècle. 

On aura la réponse en 2025 lorsqu’un modèle similaire sera commercialisé.  La silhouette ne devrait pas être controversée, mais est-ce que la voiture sera concurrentielle