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Bien avant Corvette et Cobra : Cunningham

Par Éric Descarries

14 juillet 2019

Pour la plupart des amateurs de voitures, l’avènement de la sportive américaine a débuté avec la Chevrolet Corvette ou la Ford Thunderbird selon qu’ils soient amateurs de la marque au nœud papillon ou de l’ovale bleu. On situe alors l’époque à 1953-54. Mais en vérité, il y eut plusieurs petits constructeurs qui avaient déjà attaqué le segment bien avant Chevrolet ou Ford.

Il aura fallu plus de quatre ans après la Deuxième Grande Guerre pour que l’industrie automobile américaine se relève vraiment du conflit. C’est en 1949 que les consommateurs ont eu droit à des véritables nouvelles automobiles et non à des produits « réchauffés » d’avant-guerre. Toutefois, il ne s’agissait alors que de grandes et grosses berlines familiales qui n’avaient aucune personnalité « sportive ». Or, plusieurs soldats ayant combattu outremer avaient connu, eux, le plaisir, sinon la griserie, de conduire des autos à deux places offrant le véritable plaisir de «piloter»!

La véritable « explosion » est venue avec l’arrivée de la Jaguar XK120 de 1949. Les « British » avaient déjà popularisé le concept du « sports car » en Europe avec des autos aussi remarquables que les Jaguar SS 100, les MG TC et TD, les Morgan et ainsi de suite. Rien de tel n’existait en Amérique! Les Européens comme Alfa Romeo, voire même Ferrari, Maserati, Aston Martin et compagnie avaient beau écumer les pistes de courses de réputation mondiale, rien n’y fit. Les constructeurs américains boudaient le mouvement du « sports car » depuis la fin de la production de la Stutz Bearcat, la dernière sportive américaine à participer aux 24 Heures du Mans plus de 20 ans plus tôt!

C’est alors qu’apparut un « sportsman » américain, Briggs S. Cunningham, un millionnaire de l’époque bien connu du monde des courses de « yacht » en mer! Cunningham, aussi amateur de belles voitures voulait que la production automobile américaine s’illustre de nouveau sur les pistes du monde entier. En 1950, il inscrivit deux autos à ce qui était à l’époque la plus significative course automobile au monde après les 500 Milles d’Indianapolis, les 24 Heures du Mans!

En 1950, Cunningham inscrivit deux autos aux 24 heures, un coupé Cadillac 61 et une sorte de prototype aux allures bizarres (voire même grotesques) basé sur une Cadillac rapidement baptisé « Le Monstre ». Ironiquement, le coupé de série y terminera 10e et « Le Monstre » 11e ! Ce « succès » encouragea Briggs Cunningham à construire ses propres autos à partir de ses ateliers privés de Floride.

La première voiture à sortir de ces « usines » fut la…Cunningham, un roadster ressemblant étrangement aux toutes premières Ferrari (voire même aux AC Ace qui allaient devenir les Cobra plus de 10 ans plus tard!) mais, plus grande, plus grosse, Cette première Cunningham avait, pour moteur, un V8 HEMI de Chrysler, un moulin de 5,4 litres faisant 180 chevaux et 312 li-pi de couple. L’acheteur avait aussi le choix d’un V8 Cadillac et de multiples combinaisons de carburateurs. La boîte de vitesses manuelle était à trois rapports. Ironiquement, les composantes mécaniques de la Cunningham provenaient de Chrysler, Cadillac, Ford, Oldsmobile et même de camions Dodge mais le prix de l’auto en était si élevé que le roadster ne s’adressait qu’aux amateurs de sportives avec un portefeuille bien garni!

Briggs Cunningham a continué à produire de belles autos malgré tout l’argent englouti dans l’aventure. Suite au « succès » médiatique de son premier roadster, le C2, il récidiva avec un superbe coupé cette fois carrossé par le réputé carrossier italien Vignale, le Continental Coupe C-3. Malgré sa production limitée et son prix très élevé, il y en a eu au moins un à Montréal car je l’ai vu, de mes yeux vu, lorsque j’étais très jeune. Mon père, un amateur de voitures (de qui pensez-vous que je retiens?), me l’a pointé une fois alors que je n’avais que sept ou huit ans dans le quartier de Notre-Dame de Grâce ou Snowdon. Il m’avait alors dit que le coupé appartenait à un médecin de l’époque, peut-être en 1957 ou 58 !

Cunningham continua à proposer des autos extraordinaires dont la C4-R ou la spectaculaire C-5R (elle a été reproduite en miniature par Dinky Toys) toujours mue par le V8 Chrysler Hemi mais, cette fois, avec suspension arrière indépendante. Les Cunningham gagnèrent quelques courses d’importance et finirent même en troisième position aux 24 Heures de 1954.

Puis vint la version C-6R, un roadster alors mû par un quatre cylindres Offenhauser, un moteur utilisé par les constructeurs de voitures Indy. Malheureusement, Cunningham ne réussit jamais à profiter de la puissance de ce moteur originalement conçu pour fonctionner à l’alcool. Le plus petit moulin n’aimait tout simplement pas l’essence, surtout l’essence alors faible des fournisseurs européens.

En 1955, Briggs Cunningham décida d’abandonner la construction de ses superbes bolides, Il expliqua alors au journaliste américain Bob Fendell que l’aventure lui avait coûté très cher, quelque 37 voitures ayant été produites (à un prix dépassant largement les 10 000 $ de l’époque, ce qui était énorme!). Son but avait été de donner aux États-Unis une victoire aux 24 Heures du Mans, ce qui n’avait pas été fait depuis 1922 avec Jimmy Murphy au volant d’une Duesenberg.

Cunningham revint aux 24 Heures au début des années soixante avec une équipe de Corvette. Il n’y connut pas plus de succès son meilleur résultat ayant été une troisième position derrière Ferrari et Jaguar avec la C-4R en 1954. Il retourna aux courses de voiliers où il a renoué avec la victoire. On sait tous maintenant qu’il faudra attendre à 1966 pour voir une marque américaine gagner aux 24 Heures, Ford avec ses GT 40 !

La marque Cunningham tenta un retour avec la présentation du prototype C7 au Salon de l’auto de Detroit de 2001. Mais, malgré toute la publicité accordée à la superbe auto parrainée par le célèbre ex-président de GM, Bob Lutz, la production ne vit pas le jour et aujourd’hui, la marque Cunningham n’est plus qu’un souvenir.

Briggs Cunningham est décédé en 2003 à l’âge de 93 ans. Malgré sa perte d’argent dans la construction automobile, il aura toujours vécu dans l’opulence, étant héritier d’une entreprise de savon.