Dans les années 60, l'industrie automobile nord-américaine comptait davantage sur les changements de carrosserie annuels par rapport à des modifications technologiques d'avant-garde. En effet, à cette époque, chaque année modèle était fortement attendue alors que le dévoilement en octobre était àsouligner avec emphase. Sur le plan mécanique, c'était plutôt traditionnel avec une grosse cylindrée à l’avant et les roues motrices arrière. Quelques petits gadgets ici et là, la prolifération de la transmission automatique et c'était pratiquement tout.
Par contre, les voitures européennes récemment distribuées sur notre continent proposaient des solutions techniques alternatives. En plus, ces voitures étaient de dimensions " raisonnables ", leur moteur de petite cylindrée consommait moins et souvent l'agrément de conduite était aurendez-vous. Les modèles distribués par Volkswagen, Fiat et Renault, entre autres, devenaient de plus en plus populaires et nombreux étaient ceux qui étaient dotés de moteur arrière, propulsion arrière et le moteur était généralement refroidi à l’air. Et il ne faut pas oublier non plus les voitures sport Porsche qui offraient une configuration similaire et qui étaient fortement appréciées des conducteurs sportifs.
C'est alors que Ed Cole, alors grand patron de Chevrolet, décida de développer une voiture originale par rapport à ses concurrentes nord-américaines. En effet, la division Chevrolet développa une voiture à moteur arrière et refroidie à l’air. Une configuration unique chez les Nord-Américains. Et c'est ainsi que cette voiture, appelée Corvair, est arrivée sur le marché en 1960.
Détail à souligner, ce moteur unique était un six cylindres à plat refroidi à l’air, plus ou moins similaire à ce que l'on retrouvait sur les Porsche de l'époque. Une transmission manuelle à trois rapports était de série tandis qu'une transmission automatique Powerglide à deux rapports était optionnelle. Une autre caractéristique technique innovatrice pour l'époque, le châssis était monocoque, une pratique très rare chez les Nord-Américains .
La première génération a débuté en 1960 pour être remplacée en1965 par une seconde plus raffinée. Celle-ci était dotée de moteurs de plus grande cylindrée et plus puissant tandis que la suspension arrière était entièrement indépendante un peu comme celle de la Corvette. Quant à la première génération,elle était dotée d'une suspension arrière à essieu oscillant dont les caractéristiques de comportement routier étaient de nature à prendre certains conducteurs au dépourvu.
On a constamment fait appel au moteur six cylindres à plat, mais la cylindrée a évolué au fil des années tout comme la puissance. Au début, la cylindrée était de 2,3 litres et la puissance de 80 chevaux. Selon les modifications et des améliorations, cette puissance a été portée à 180 chevaux en version turbo sur certains modèles 1965–66.
Les acheteurs intéressés avaient l'embarras du choix en fait de modèle. En effet, au cours des premières années, la Corvair était disponible en berline, en coupé deux portes, en camionnette, en fourgonnette commerciale ou pour passagers. Il faut également ajouter, que le coupé et la berline ne possédaient pas de pilier B.
Clientèle mal ciblée.
Originalement, ce modèle avait pour vocation de venir contrer les petites européennes qui étaient de plus en plus populaires. Cependant, la présence du moteur à l'arrière et des essieux oscillants se traduisait par un comportement routier auquel les conducteurs nord-américains n'étaient pas habitués. En effet, lorsqu'une courbe était abordée à grande vitesse, les essieux arrière avaient tendance à provoquer un survirage et prendre le chauffeur au dépourvu. En effet, depuis des décennies, la grande majorité des voitures nord-américaines sont sous-vireuses et pas à peu près. Un ingénieur de Chevrolet avait suggéré que l'on mette une barre antiroulis à l'avant en matière de compensation, ce qui lui fut refusé par les comptables de la compagnie. Faute de quoi, on a suggéré de sous gonfler les pneus avant et de sur gonfler les pneus arrière. Combinaison inusitée et qui avait pour but d'outrepasser les capacités de charge des pneumatiques.
Au fil du temps, on a décidé de concevoir une petite voiture traditionnelle, la Chevy II, pour répondre aux acheteurs nord-américains recherchant une voiture conventionnelle et on a orienté davantage la Corvair vers des acheteurs recherchant une voiture plus sportive. Il faut cependant souligner que la présence du moteur à l'arrière avait pour effet d'alléger grandement la direction avant, ce qui n'est pas nécessairement recherché sur une voiture de sport.
La Mustang oui, Ralph Nader non
Aujourd'hui, lorsqu'on parle de cette voiture, on associe généralement sa disparition en raison de la publication du livre "Unsafe at any speed" de l'avocat défendeur des consommateurs Ralf Nader qui, dans le premier chapitre du livre, tire à boulets rouges sur la Chevrolet et ses essieux oscillants. Il en conclut qu'il s'agit de l’auto la plus dangereuse sur nos routes. Curieusement, ce livre est apparu lorsque la seconde génération de cette voiture a été commercialisée. La suspension arrière, la principale accusation de Nader, avait été modifiée ainsi que plusieurs autres caractéristiques techniques de la voiture, la rendant plus moderne, plus facile à conduire et offrant certaines caractéristiques uniques.
Il est vrai que la parution de ce bouquin n'a certainement pas aidé la popularité de la Corvair et les ventes ont été affectées. Cependant, la vraie raison de la disparition de cette voiture aux caractéristiques assez originales est l'arrivée en 1964 de la Ford Mustang qui a joui d'une popularité incommensurable pour l'époque. Ce coupé sport à la silhouette plus que sympathique a tout balayé sur son passage et la pauvre Corvair a été abandonnée. En fait, c'est la Camaro qui l’a remplacée et celle-ci ciblait à son tour les acheteurs enthousiasmés par la Mustang.
Disculpée
La majorité des gens ont associé la disparition de la Corvair à la publication du livre de Nader. D'ailleurs, ce dernier a témoigné à une commission sénatoriale à Washington et son témoignage a incité le gouvernement américain à développer une législation en faveur d’une plus grande sécurité des voitures, de la réduction des émissions nocives et on a même créé un département de la sécurité routière.
Cependant, suite à ce témoignage, l'université Texas A&M a effectué des tests sur une Corvair de première génération et ceux-ci ont démontré que cette voiture n'était pas plus dangereuse que les autres de sa catégorie. On peut ajouter un autre élément au dossier, puisque le NHTSA gouvernemental a comparé le comportement de la Chevrolet 1965 avec les modèles concurrents qui étaient la Ford Falcon, la Plymouth Valiant, la Volkswagen Beetle et la Renault Dauphine. Là encore, la Corvair n'a pas été jugée plus dangereuse.
Mauvais continent
Cette épopée a duré tout près d'une décennie et a quand même permis à Chevrolet d'en produire un peu moins de 2 millions d'exemplaires, et certains modèles ont été vendus au Mexique, au Venezuela et en Suisse. On peut conclure sans trop se tromper que cette configuration mécanique et le comportement routier en général de cette voiture auraient mieux convenu aux automobilistes européens par exemple, plus habitués à cette mécanique. Les Américains se sont rués vers cette voiture au cours des deux premières années, pour découvrir les caractéristiques assez particulières et certains irritants, notamment une courroie de ventilateur extralongue qui avait tendance à ne pas rester en place.
Et avant de terminer, il faut savoir que la première utilisation du mot Corvair avait été sur une voiture concept Corvette en 1954. Il s'agissait alors d’un coupé à toit fuyant. Quant au nom Corvair, c'était l'association du mot Corvette et Bel Air. Quant à la Corvair 1960, cette désignation était la combinaison des mots Corvette et « air » en raison du type de moteur utilisé.
On ne peut reprocher à General Motors d'avoir voulu jouer d'audace et d'innovation, mais haro sur les comptables dont les diminutions de budget n'ont pas permis à cette voiture d'atteindre son plein potentiel.