Pendant longtemps, les constructeurs japonais, lorsqu'ils invitaient des journalistes nord-américains dans leur pays, se refusaient à nous laisser conduire sur les voies publiques. On devait se contenter de piloter les voitures sur les circuits d'essai des différents constructeurs ou encore sur un circuit de course automobile. En effet, ils n'avaient pas confiance en nos moyens pour négocier les routes super encombrées de ce pays, identifiées parfois par des pancartes uniquement en japonais.
Bien entendu, Mazda ne fait rien comme les autres, et au début des années 90, on a pris la décision chez le constructeur d'Hiroshima de nous amener dans l'île Hokkaido et la ville de Sapporo afin de nous permettre de prendre la route au volant de leurs voitures. La plupart d'entre nous avaient déjà conduit des voitures avec conduite à droite, notamment en Grande-Bretagne, et l'exercice s'est déroulé sans coup férir. Bien entendu, ils nous ont amenés dans une région éloignée de la ville, où la circulation était très peu dense, afin delimiter au maximum les risques d'incident.
À ma grande surprise, j'ai découvert que cette ville située au nord du Japon et qui a été le site des Olympiques d'hiver de 1972 était plus ou moins différente des villes de la grande île. Dans les secteurs touristiques, les souvenirs n’avaient rien en commun avec le reste du pays. Il y avait des sculptures d'ours, de renard et une foule d'autres éléments du genre. On se serait pratiquement cru dans les Laurentides, à la différence prèsqu'il s'agit d'une île volcanique.
Après avoir passé la journée à conduire les nouvelles Mazda, notamment la Mazda 6, on nous a amenés après le souper dans un club de karaoké. Il faut savoir que pour les Japonais, cette activité sociale est très importante. D'ailleurs, dans la plupart des autobus nous conduisant d'une ville à l'autre, il y avait pratiquement toujours un ampli de karaoké afin que les occupants puissent s’occuper lors des nombreux embouteillages qui sont monnaie courante.
Mais si les Japonais prennent généralement le karaoké au sérieux, notre groupe n'avait pas nécessairement la même approche
. Peut-être était-ce dû au Cognac de mauvaise qualité ou la bière portant le même nom que la ville, mais je crois affirmer sans exagérer, que la plupart d'entre nous n'auraient pas passé le test de sobriété si on avait été soumis à un examen du genre. Au début, nos hôtes japonais choisissent des chansons romantiques qu'ils interprètent les yeux fermés et avec beaucoup de passion et d'émotion.
Salon de Karaoke
Puis ce fut notre tour. Malheureusement, il n'y avait pas beaucoup de chansons en anglais et naturellement aucune en français, pour nous permettre de participer. Finalement, on a déniché une chanson country que certains ont chantée avec un certain sérieux. Puis, c'est là que la chaîne a débarqué, quelqu'un a trouvé la chanson : « Boom, Boom, Boom let's go backto my room », ou quelque chose de semblable. C'est alors que les interprétations les plus échevelées ont eu lieu. Tout le monde faussait, mais cela ne paraissait pas trop mal quand même. Mais, croyez-moi, heureusement qu'à cette époque il n'y avait pas de vidéos de téléphone cellulaire et de médias sociaux, nous serions rentrés penauds au Canada.
Bref, bien que nous nous sommes donnés en spectacle, nous avons éprouvé beaucoup de plaisir et bien entendu, comme c'est souvent le cas, ce sont les journalistes québécois qui ont été les plus démonstratifs et ceux du reste du Canada un peu plus réservés, même s'ils étaient passablement échevelés eux aussi.
Ce fut une soirée mémorable. C'était moins mémorable le lendemain matin. Il a fallu se lever relativement tôt pour, prendre l'avion pour l'aéroport d’Haneda, pour ensuite nous diriger vers l'aéroport international de Narita afin de retourner au pays.
Alors que nous étions tous dans le lobby de l'hôtel, un des relationnistes de Mazda est venu me voir pour me serrer la main. Il m’avait collé aux fesses pendant tout le voyage. Chaque fois que je m'éloignais du groupe, il venait me retrouver pour me demander pourquoi je faisais bande à part. J'avais beau lui répondre que c'était pour admirer un paysage ou un édifice qui n'intéressait pas les autres, il n'arrivait pas à comprendre. Et en plus, à chaque fois qu'il me rencontrait, il me tendait la main et me disait : « Bonjour! Mon nom veut dire Bob en japonais. »Si au début cette approche était sympathique, après quelques jours, elle me tombait sérieusement sur les nerfs. Tant et si bien, que ce matin-là, la dernière journée de notre périple, lorsqu'il m'a tendu la main, j'ai eu une panne de cerveau et je lui ai littéralement broyé la main qu'il m'avait tendue amicalement.
Il n'a pas cessé de sourire, mais lorsque je lui ai rendu sa main, il s'est retourné en se massant la main droite. J'avais vraiment serré très fort. Je m'en veux encore.
De plus, lorsque nous sommes arrivés à l'aéroport d'Haneda, les gens de Mazda devaient prendre un avion en direction d'Hiroshima. Tous nous ont serrés la main, mais lorsque mon ami « Bob » s'est présenté devant moi, il y a eu le réflexe initial de tendre la main. Et dans son cerveau, le message est parvenu très rapidement disant : « Ne fais pas ça, ça va faire mal.» Et il a retiré sa main. Je me suis contenté de lui donner une tape dans le dos et lui souhaiter bon voyage.
Trois ou quatre années plus tard, je assuis retourné au Japon dans un autre événement Mazda et je rencontre mon ami Bob. Il m'a reconnu et esquissé un léger sourire tout en plaçant sa main droite derrière son dos. On ne sait jamais, cette grosse brute veut peut-être me martyriser une fois de plus.
Heureusement pour lui, j'avais regretté mon geste immédiatement après l'avoir posé et j'ai profité de cette nouvelle rencontre pour m'excuser et lui raconter le pourquoi de mon geste. Nous avons bien ri et ce fut l'occasion d'aller prendre une bière, une Sapporo bien entendu, pour enterrer ce mauvais souvenir.