Comme je ne suis plus très jeune, vous ne serez pas surpris si je vous dis que je vais aux courses en circuit routier au Mont-Tremblant depuis 1964. À cette époque, le circuit était plus court et ce n’est qu’en 1965 qu’il a été allongé pour atteindre les dimensions qu’il affiche actuellement. À cette époque, il y avait toute une panoplie de voitures en piste dont la plupart étaient d’origine britannique. Parmi celles-ci, il y avait une petite Shelby Cobra jaune, numéro 83, qui, dès ses premiers tours de roue, s’est mise à écumer la piste. La voiture était conduite par un certain Jean Ouellet de Rimouski (l’inscription sur la porte se lisait comme suit : Rimouski Racing Team). Plus d’un vétéran se souvient de cette Cobra. Toutefois, nombreux sont ceux qui m’en parlent comme étant la deuxième Cobra jamais construite, la «deuxième Cobra».
Cela m’a toujours intrigué et je n’ai jamais su trouver les documents nécessaires pour expliquer ce qualificatif…jusqu’à ce que le livre The First Three Shelby Cobras du Britannique Gordon Bruce soit publié l’année dernière. Étant moi-même un mordu de Cobra depuis ma tendre jeunesse (et aujourd’hui propriétaire d’une réplique construite par le Québécois Michel Pigeon, autrefois de Sainte-Julienne), je n’ai pu résister à l’achat du livre. Et c’est en lisant ce livre que j’ai découvert, à ma grande surprise, la réponse à mes questions.
Jean Ouellet en action! (Photo Wilfrid Ouellet)
La Cobra que Ouellet conduisait aux débuts des années soixante n’était pas la deuxième jamais construite mais la troisième. La confusion vient de son numéro de série, CSX 2002. En fait, la première Cobra portait le numéro CSX 2000 et elle n’a quitté les ateliers de Shelby qu’il n’y a que quelques années, après la mort de Shel’, et ce au prix exorbitant de 17,75 millions $ ce qui, en 2016, en faisait la voiture américaine la plus chère jamais vendue à l’encan. Quant à la véritable deuxième Cobra, la CSX 2001, elle a connu toute une carrière en course en Angleterre mais elle a été retrouvée et restaurée (elle a même déjà eu un toit rigide tout simplement affreux!).
La Cobra CSX 2002 maintenant restaurée selon ses couleurs originales.
Ce qui nous amène à celle de Ouellet. Comme je l’ai écrit plus haut, elle portait le numéro de châssis CSX 2002 (ce qui en fait la troisième de la série). Toutefois, elle n’a jamais été vendue pour la route. Dès sa création aux ateliers de Shelby, elle fut destinée à la course. C’est donc la première véritable Cobra de course dite «Works» dans le jargon de l’époque. Elle a d'abord porté le numéro 98 et elle fut conduite par Bill Krause (il aurait gagné la première course dans laquelle elle était inscrite si un des moyeux arrière n’avait pas cassé), puis par Dan Gurney mais que pour une course (les 3heures de Daytona en février 1963). À ce point, Shelby avait changé le petit V8 260 (expérimental en aluminium) pour un 289 en fonte plus résistant.
Les légendaires Dave MacDonald et Ken Milles l’ont aussi conduite avant qu’elle ne soit rachetée par le groupe Comstock de Toronto. Leur pilote, Eppie Weitzes, l’a utilisée onze fois (à Mosport, St-Eugène et Watkins Glen) avant qu’elle ne soit mise en vente et rachetée par Jean Ouellet pour la modique somme de 8000 $. Ouellet l’a utilisée, lui, durant deux saisons (avec beaucoup de succès) puis elle passa aux mains du Dr. Jean-Guy Ostiguy qui en partagea le volant avec André Samson.
À partir de là, l’auto a souvent changé de mains. Elle a même été rachetée, à un point, par Bill Krause avant d’être «sauvée» (elle était devenue une épave) par le spécialiste Michael Schoen et reconstruite. Elle a finalement été vendue au collectionneur Larry Miller (qui, par après, se payait la légendaire CSX 2000 à 17,75 millions $) pour la somme de 418,000 $ en 1999. Aujourd’hui, la CSX 2002 est rouge et elle arbore le numéro 16, celui qu’elle avait aux 12 Heures de Sebring en 1963.
Quant à Jean Ouellet, ce fils de concessionnaire GM (il courait sur Corvette avant la Cobra), il semblait parti pour une belle carrière comme pilote de Ford. Il a même été choisi par Comstock pour conduire une Ford GT40, la première de production, châssis numéro P/1000, aux 12 Heures de Sebring en 1966. Son co-pilote, le champion canadien d’alors, Bob McLean, venait de prendre la relève lorsqu’il fut impliqué dans un horrible accident. Il n’a pas survécu et Ouellet, trop ébranlé par la mort de son compagnon d’armes, mit alors fin à sa carrière si prometteuse. Jean Ouellet est décédé en 2015 sans revenir à la course automobile.
Le passager de droite dans cette Cobra était nul autre que George Lucas !
Incidemment, au cas où vous ne le sauriez pas, il y a déjà eu un certain George Lucas au sein de l’équipe des Cobra de Carroll Shelby. Oui, il s’agit du même George Lucas, créateur des Star Wars. Plusieurs photos d’archives circulent montrant Lucas, dans son jeune âge, comme mécano dans une Cobra ou à côté de la voiture.
Le coéquipier à la droite avec la chemise avec le nom George brodé est George Lucas, le père des Star Wars. (Photo Dave Friedman)
Et si vous êtes un amateur de modèles réduits, l’ensemble Grand Prix d’Amérique d’AMT (Ford pick-up 1953 avec remorque et Cobra) serait celui de Lucas (sauf que le Ford devrait être un 1956 avec des montants de pare-brise verticaux et non un 1953 avec des montants inclinés).
Si vous aimez les Cobra, vous pouvez acheter cet ensemble de l’équipe de course de Lucas! )