Histoire de chars:

la fête à Bob et un gorille incontrôlable

Par Denis Duquet

Au cours d’une carrière s’étalant sur plusieurs décennies en tant que chroniqueur automobile, Denis Duquet en a vu de toutes les couleurs. Chaque semaine, il se remémore le passé...

Robert Stempel a connu une fort intéressante carrière au sein de General Motors. En 1958, il a amorcé sa carrière chez ce constructeur en tant qu’ingénieur chez Oldsmobile dans le département des châssis et des structures. Il a ensuite travaillé au développement des transmissions, des moteurs et obtenu le poste d’aide-ingénieur en chef. C’est à ce titre qu’il a fait partie de l’équipe qui a développé la Toronado, l’une des premières voitures de ce constructeur à offrir la traction.

Puis, en 1974, il est muté chez Chevrolet en tant qu’ingénieur en chef pour être ensuite promu au titre de directeur de l’ingénierie une année plus tard. Sa carrière se poursuit chez Pontiac en 1978 alors qu’il est nommé directeur général de la division Pontiac. C’est sous sa gouverne que cette division a développé la technologie du « space frame », une structure squelettique sur laquelle étaient greffés des éléments en plastique pour former la carrosserie. Cette technologie a été utilisée sur la Fiero, certaines fourgonnettes et les véhicules Saturn.

Par la suite, il a été nommé directeur gérant du constructeur allemand Opel en 1980 pour ensuite retourner aux États-Unis deux années plus tard pour occuper e poste de directeur général de Chevrolet. Il faut dire qu’à cette époque, les divisions de ce constructeur étaient de véritables royaumes, des chasses gardées dont le directeur général possédait d’immenses pouvoirs et était fortement respecté.

Bref, c’était un homme important et il ne m’a jamais semblé être un homme de party. Il était donc quelque peu audacieux de célébrer son anniversaire de naissance de façon inusitée. Puisqu’il était né le 15 juillet, le directeur des relations publiques de la division Chevrolet, alors que Stempel en était le grand patron, a décidé de souligner cet événement en présence des journalistes qui assistaient en avant-première au dévoilement des nouveaux modèles 1983.

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Rendez-vous annuel

À cette époque, on réunissait les journalistes à la piste d’essai de Milford au Michigan et on y présentait les nouveautés et les modèles reconduits pour l’année modèle à venir. Cet immense complexe technologique possédait une aire d’essai dynamique immense, entièrement asphaltée et qui donnait l’impression d’être un lac lorsque vu des airs. On rapporte qu’à quelques reprises, des hydravions ont tenté de s’y poser. D’ailleurs, cet espace porte le nom de Black Lake. Les journalistes invités pouvaient donc faire l’essai des véhicules à cet endroit. On il y avait également installé une immense tente pour permettre aux convives de s’abriter du soleil et d’y luncher.

Bien entendu, le directeur général de la division était de la partie pour présenter les nouveaux produits et il a également prononcé un petit discours pour tenter de convaincre les journalistes des avantages des automobiles et véhicules Chevrolet.

Alors que les activités avaient été interrompues pour le lunch, on a invité tous les gens à se rassembler devant une plate-forme surélevée, abritée par un auvent, car on avait une surprise. Il est certain que Robert Stempel ne savait pas ce qu’il attendait. En effet, il a semblé surpris de voir arriver une Chevrolet décapotable 1933 conduite par un homme déguisé en gorille. Pourquoi ce déguisement ? Dieu seul le sait ! Pire encore, lorsqu’il a quitté la voiture, on a réalisé qu’il portait un tablier rose. Il s’est alors dirigé vers Bob et tous les employés de GM ont entonné la chanson « Happy Birthday Bob ».

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Adieu gorille

Jusque-là, tout se déroulait de façon relativement correcte. Mais les choses se sont dégradées par la suite, alors que le gorille s’est mis à embrasser le jubilaire sur la bouche, à lui prendre les fesses et le serrer dans ses bras. Il a tellement insisté que les lunettes du patron sont tombées par terre.

Les responsables des relations publiques de Chevrolet se sont empressés de les séparer, mais notre gorille insistait. On a alors découvert qu’il empestait l’alcool et qu’il n’était pas nécessairement en contrôle de ses émotions.

Empoigné manu militari, il a été évincé de la scène pour être ensuite précipité dans un Suburban pour se diriger à un endroit éloigné de Robert Stempel qui tentait de se remettre de ses émotions. Bon prince, il a fait semblant d’avoir été informé à l’avance de la petite cérémonie inopinée et le directeur des relations publiques de l’époque a conservé son emploi. Quant à nous journalistes, nous étions passablement estomaqués de la scène qui s’était déroulée devant nous.

Je suis certain que, par la suite, personne chez GM n’osera célébrer un anniversaire des grands patrons de la sorte. Les retombées auraient pu être plus importantes pour les organisateurs de cette petite fête si cela s’était déroulé plus tard dans la carrière du jubilaire puisque Stempel a été nommé par la suite le grand patron de toute la compagnie. Il a tenu ce poste de 1990 à 1992. Il a été forcé de démissionner cette dernière année alors qu’une importante récession économique avait obligé GM à fermer une douzaine d’usines, à congédier 74 000 employés en plus de perdre 7 milliards. En rétrospective, Robert Stempel devait se dire que cet anniversaire impromptu n’était pas si mal après tout.