Histoires de chars:

on gèle à l’Esterel

Par: Denis Duquet

Chroniqueur automobile depuis plusieurs décennies, Denis Duquet se remémore le passé et nous en raconte quelques épisodes.

Il arrive souvent que la nature vienne contrecarrer les plans les mieux élaborés. C’est justement le cas qui nous concerne. Dans les années 90, la compagnie suédoise Saab avait beaucoup d’ambition et le nombre des voitures vendues en Amérique allait en croissant. Afin de faire découvrir les qualités hivernales de ses modèles, la direction de Saab a invité les journalistes canadiens et Américains dans les Laurentides, à l’Esterel tout précisément.

On avait choisi une semaine de février pour tracer un parcours sur le lac en face de l’hôtel, parcours qui permettrait aux journalistes de rouler sur un circuit glacé afin de pouvoir mettre à l’épreuve les qualités de ces voitures suédoises bien adaptées, selon le constructeur, à nos conditions d’hiver.

Malheureusement, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. En tout premier lieu, lorsqu’on a décidé de dégager la surface glacée du lac de l’épaisse couche de neige qui s’y trouvait, les travaux ont été rendus difficiles par une température plus que clémente pour la période. En effet, le mercure a monté à plus de 12C, rendant la neige imbibée d’eau et la surface du lac recouverte d’une légère couche d’eau. De prime abord, cela ne semble pas être un problème puisque ces voitures sont aussi en mesure de négocier un tel parcours. Malheureusement, le mercure est descendu à -20C dans les jours qui ont suivi. Avec pour résultat que cette piste d’essai ressemblait davantage à une patinoire dont la surface était ultra glissante et entourée de murs de glace.

broken image
broken image

En dépit de ces conditions, les personnes invitées à l’événement ont pu tout d’abord faire l’essai des voitures sur les routes avoisinantes et tout s’est bien déroulé. Puis, vint le tour de faire l’essai sur la glace. Mais lorsqu’on subit une chute précipitée du mercure, les surfaces glacées deviennent ultra lisses et ultra glissantes.

Au début, les choses allaient bon train puisque les journalistes conduisaient avec prudence et s’étaient adaptés aux conditions inhabituelles. Tout cela s’est bien déroulé jusqu’au moment où l’ancien pilote de rallye suédois Erik Carlson est arrivé. Aujourd’hui décédé, Carlson était une légende du rallye remportant le prestigieux rallye de Monte-Carlo au volant de sa Saab à moteur trois cylindres deux temps assez peu puissant. Il obtenait ses victoires grâce à une conduite agressive et une vitesse élevée en virage. Lors de certains rallyes, pour se tirer d’une impasse quelconque, il prenait un malin plaisir à faire capoter sa petite Saab et cela lui a valu le surnom de « On the roof Carlson ». Compte tenu de la forme arrondie de la voiture, celle-ci n’était pas tellement endommagée tandis que le pilote s’en tirait indemne à tout coup.

broken image

Erik Carlson

broken image

Erik Carlson

broken image

"On the roof Carlson"

Carlson était à l’aise comme un poisson dans l’eau sur cette surface et il se mit à enchaîner les tours rapides, allant même jusqu’à pousser les autres véhicules qui étaient sur son chemin. Au conduisait pratiquement à la limite pour ensuite être victime d’une secousse arrière. Un coup d’œil au rétroviseur nous permettait d’entrevoir Éric tout sourire qui nous envoyait la main.

Avec pour résultat que les journalistes se sont sentis challengés et ont décidé d’appuyer sur l’accélérateur. Mal leur en prit, car aucun n’avait le même talent que le champion de rallye et encore moins l’habitude de rouler rapidement dans de telles circonstances. Ce fut une succession de dérobades, de contacts avec les parois glacées et on a même déploré une perte totale alors que les véhicules étaient conduits avec trop d’enthousiasme. Heureusement, personne n’a été blessé.

broken image

Erik Carlson en rallye

Et la situation a dégénéré davantage lorsque les journalistes américains sont arrivés et ils ont fait subir encore plus de dommages aux pauvres voitures, au grand désarroi des représentants de la compagnie. À tel point qu’on a opté pour une randonnée en motoneige au lieu de conduire des voitures!

Il y a donc eu certains dommages collatéraux, mais tous les journalistes présents ont été en mesure d’être témoin de la dextérité et du talent d’Erik Carlson au volant d’une Saab et ce peu importe les conditions. D’ailleurs, pour avoir participé à d’autres programmes où le géant suédois était présent, j’ai pu constater que celui ne se privait jamais de rouler à fond de train.

Il a été un ambassadeur merveilleux pour le constructeur et, détail à souligner, il n’était relié par aucun contrat à la compagnie, seule une poignée de main au début de chaque année suffisait.