Si vous faites une petite recherche dans les archives de ce site, vous y trouverez plusieurs de mes articles portant sur des sujets anciens de course automobile. J’y ai traité de la Chevrolet Impala 1961 que le légendaire (mais maintenant défunt) pilote américain Dan Gurney utilisait en Angleterre pour terroriser les équipes de Jaguar. J’y ai aussi traité de la Cobra no CSX 2002 que le pilote québécois Jean Ouellet utilisait en circuit routier au Canada et de quelques autres sujets semblables.
Évidemment, j’aimerais bien écrire éventuellement ma critique personnelle du film Ford contre Ferrari dans lequel j’ai trouvé un nombre important d’erreurs historiques (je sais, je sais, c’était censé être un divertissement mais je suis persuadé que l’on aurait pu conserver l’authenticité de plusieurs pages d’histoire tout en les «agrémentant») mais il y a un petit souvenir que j’aime bien partager avec les amateurs de NASCAR. Ce souvenir, c’est le tout premier Daytona 500 qui s’est couru sur l’impressionnant anneau de vitesse de la ville de Floride qui porte le même nom.
Toute course automobile a sa petite histoire. Certaines sont sans grand intérêt, d’autres sont devenues de véritables légendes. Dans le cas de la Daytona 500 de 1959…disons que c’est un peu «loufoque». Ironiquement, par contre, on en parle encore aujourd’hui.
Vous trouverez plusieurs documents et documentaires sur cette course sur Internet mais peu en français. Je vous résume les faits. En ce 22 février 1959, 59 voitures ont pris le départ pour les 200 tours de cette épreuve qui deviendra une véritable «classique» avec le temps. C’était vraiment la première fois que les pilotes de «stock cars» (qui se traduit par «voitures de série» ce qu’elles ne sont certes plus aujourd’hui) disputaient une telle épreuve sur un si grand circuit avec des courbes inclinées à 31 degrés. Les marques de voitures y étaient aussi nombreuses avec plusieurs Chevrolet, Oldsmobile, Dodge, Mercury, Studebaker (!), DeSoto, Pontiac, Edsel, Ford et Thunderbird. Il y avait même des cabriolets dans la course!
À cette époque, NASCAR avait accepté les Thunderbird même si certains les considéraient comme des «sportives». En fait les Thunderbird 1959 utilisées par le NASCAR étaient dans une classe à part. Ford était passé des populaires Thunderbird à deux (ou trois) places de 1957 à des modèles à quatre places (avec siège arrière) en 1958 ce qui en a presque quadruplé les ventes. À cette époque, on avait surnommé ces autos les «Squarebird» sans savoir qu’elles allaient contribuer à créer un nouveau segment de l’industrie qui allait faire boule de neige, les «personal luxury coupes» (coupés personnels de luxe) qui engendreront des autos comme les Buick Riviera, les Oldsmobile Toronado et quelques autres voitures du genre. En 1959, NASCAR accepta les Thunderbird parce qu’elles correspondaient aux exigences des règlements de l’époque : auto américaine de type coupé (ou cabriolet) à deux portes pouvant accepter quatre personnes à bord. En 1961, NASCAR allait changer ses normes et les superbes Thunderbird (alors rebaptisées «Bullet Bird» pour leur style aérodynamique) ne répondaient plus aux exigences de l’organisation.
C’est alors que Ford avait confié au préparateur Holman and Moody (le Roush ou Team Penske de l’époque) à préparer au moins huit Thunderbird pour la NASCAR. Holman and Moody ont choisi d’ignorer le modèle 1958 dont la suspension arrière était à ressorts hélicoïdaux préférant la version 1959 avec ressorts à lames déjà plus stable. Techniquement, ces coupés Ford pouvaient se transformer rapidement en cabriolet (on les appelaient des «zipper tops») pour l’autre «division» de course de NASCAR qui mettait en vedette des cabriolets.
Parmi les pilotes ayant opté pour la Thunderbird, il y avait le champion de l’organisation IMCA de l’Ouest américain. C’est lui qui, au volant de cette Ford no 73, devint la vedette de l’épreuve ayant mené un nombre important de tours toujours poursuivi par le champion NASCAR d’alors, Lee Petty (le père du King Richard Petty) au volant de son Oldsmobile no 42. Ironiquement, cette importante course n’a exigé aucun drapeau jaune! Mais plusieurs compétiteurs ont dû abandonner à cause de moteur, de boîtes de vitesses ou de pneus défectueux! Autre ironie du sort, la course de 1959 s’est déroulée en 3 heures et 41 minutes, le vainqueur ayant roulé à la vitesse moyenne de 135, 521 m/h (218,2 km/h) alors que la même course qui s’est déroulée au même endroit en février 2020 s’est déroulée en…3 heures et 42 minutes à la vitesse moyenne de…141 m/h (227 km/), le gagnant, Denny Hamlin, conduisant une Toyota Camry ultra-spécialisée avec châssis-cage construit en atelier (incluant des pneus spéciaux et des fonctions aérodynamiques étudiées en laboratoire) et non un «stock-car» tiré de la ligne de montage d’un grand constructeur et à peine modifié comme l’Oldsmobile 1959 de l’éventuel vainqueur Lee Petty!
Car la course aurait été gagnée par Lee Petty! Toutefois, à la fin de l’épreuve de ce 22 février 1959, c’était Johnny Beauchamp qui avait été déclaré vainqueur. Il aura fallu trois jours à NASCAR pour modifier l’ordre à l’arrivée. Et la décision finale revenait à Bill France Sr., le président-fondateur de NASCAR ! Sur un des rares photos prises sur place à cette époque (il n’y avait pas d’électronique, ni de transpondeur), on voyait l’Olds no 42 avec quelques pouces d’avance sur la Thunderbird no 73 qui était alors à le dépasser. La Ford a dû passer la ligne d’arrivée la première vu son élan mais les «photo-finish» n’existaient pas à l’époque !
La rumeur veut que Lee Petty, qui s’est présentée à la tribune d’honneur après Beauchamp, ait posé un protêt qui aurait été reçu de NASCAR (lire Bill France). Ce n’était pas la première fois que Petty faisait cela (il l’a déjà fait contre son propre fils, Richard !). Il réclamait la victoire! Toutefois, selon les cartes des tours marquées par les «marqueurs officiels», il manquerait un arrêt aux puits dans les statistiques de Petty (c’est ce que certains journalistes affirmaient), stats qui étaient compilées par…la femme de Petty! De plus, Petty était un membre en règle de NASCAR alors que Beauchamp ne l’était pas (souvenez-vous, il venait de l’IMCA de l’ouest).
On a donc retiré la «victoire» de Beauchamp pour la donner à Petty (on comprendra que ce petit mélodrame faisait l’affaire de France !). Mais c’était trop tard! Toutes les photos avaient été prises et publiées en Amérique. La véritable vedette, c’était la Thunderbird de Beauchamp. Et ce qui est encore plus ironique, c’est que même aujourd’hui, on se souvient plus de la Thunderbird que de l’Oldsmobile! Il y en a même quelques répliques qui circulent en course «Vintage» tant aux États-Unis qu’en Europe, en Angleterre et en France! Plusieurs répliques de cette Thunderbird ont conservé, toutefois, leurs caractéristiques de voiture de promenade. Il ne resterait plus qu’une seule des huit Thunderbird modifiées par Holman and Moody, la no 64 de Fritz Wilson qui a dû abandonner tôt en course avec un piston percé! Après avoir passé un certain temps dans un musée, celui-là même qui la commanditait à l’époque, elle serait dans des mains privées attendant «le bon acheteur». Il y a une réplique de l’Oldsmobile de Petty au musée de NASCAR à Charlotte en Caroline du Nord.
Mentionnons, en complément d’information, que ce duel Petty-Beauchamp ne s’est pas terminé là. En 1961, Lee Petty (alors au volant d’une Plymouth no 42) et Johnny Beauchamp (cette fois au volant d’une Chevrolet Impala 1961) sont entrés en collision, encore une fois au Daytona 500, en voulant éviter une autre voiture en perdition devant eux. Beauchamp a poussé, sans le vouloir, Petty par-dessus les glissières de protection de l’époque (Armco) et les deux autos se sont retrouvées complètement démolies dans le stationnement. Malgré que leurs blessures ne mettaient pas leur vie en danger, Petty a décidé d’y accrocher son volant alors que Beauchamp a continué sa carrière pendant un bout de temps sur petites pistes dans l’Ouest. Beauchamp est décédé en 1981 et Petty, en mai 2000, quelques jours avant que son arrière-petit-fils Adam se tue, lui, à un très jeune âge à Loudon au New Hampshire.
Des histoires comme celles-ci, il y en a plusieurs en course automobile (incluant celle de la Chevelle 1966 au 7/8e de Smokey Yunnick en NASCAR). Je compte vous en raconter encore quelques-unes au cours des mois à venir…
La photo officielle du «finish» du photographe officiel T. Taylor Warren démontre la Thunderbird de Beauchamp sous l’Oldsmobile de Petty essayant de la dépasser. Aurait-il réussi ? On ne le saura jamais surtout qu’un des arrêts aux puits de Petty n’aurait pas été comptalisé. La Chevrolet de Joe Weatherly en haut de piste était déjà quelques tours en retard. (Photo T. Taylor Warren/Daytona International Speedway)
Johnny Beauchamp (Photo NASCAR)
Lee Petty (Photo NASCAR)
L’accident Petty-Beauchamp qui a mis fin à la carrière de Lee Petty en 1961. (Photo NASCAR)
L’Oldsmobile de Lee Petty en miniature (Photo via Internet)
La Thunderbird de Johnny Beauchamp en miniature. (Photo Eric Descarries)